Bach volume 3 par James Johnstone, les grands chorals à Grauhof Goslar

par

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Chorals Schübler BWV 645-650 ; Chorals de Leipzig BWV 651-668 ; Variations canoniques BWV 769. James Johnstone, orgue de la collégiale St Georg de Grauhof Goslar. Livret en anglais. 2020. TT 61’43 & 66’03. Metronome Recordings, MET CD 1096

Une intégrale Bach en cours, ça s’encourage. Et en l’occurrence, ça se félicite. Le précédent volume réalisé en novembre 2015 à Roskilde (Fantasias, Preludes & Fugues) impressionnait par la fermeté du trait (BWV 544), la vivacité des idées (BWV 578), la rigueur du tracé (la « Dorienne ») et sa volubilité polyphonique (BWV 578) voire sa fulgurance (les zébrures mesure 186 du BWV 572). La toute récente livraison se consacre maintenant à d’ultimes trésors du catalogue : les six « Schübler », les dix-huit chorals et les Variations canoniques de « l’autographe de Leipzig ». 

Parmi les quelque 85 enregistrements des Chorals de Leipzig que nous connaissons depuis les vinyles d’Helmut Walcha sur le Schnitger de Cappel, gravés il y a sept décennies, certains instruments ont la cote. Notamment les Gottfried Silbermann de la ville de Freiberg : le précoce chef d’œuvre du Dom (Hans Otto, Josef Sluys, Bernard Foccroulle) ou celui de la Petrikirche (Gerhard Weinberger, Craig Humber, Christian Schmitt). Autre instrument bien représenté dans la discographie, l’Ahrend de Porrentruy (copie en 1985 de Gottfried Silbermann), que l’on retrouve avec Jean Boyer, Michael Radulescu et Jean-Philippe Merckaert. Autre Silbermann, celui de Johann Andreas à Arlesheim pour lequel optèrent Lionel Rogg en sa seconde intégrale (Harmonia Mundi) et Jean-Claude Zehnder. 

L’organiste anglais lui-aussi sait bien s’entourer : après le Joachim Wagner de Trondheim pour le volume 1 (Clavierübung III), puis le célèbre bijou de la cathédrale de Roskilde pour le volume 2, le troisième nous invite sur le Treutmann de Grauhof (1737, 42 jeux sur trois claviers & pédalier), une somptueuse synthèse entre la facture nordique et d’Allemagne centrale. La seule alternative pour entendre le même programme (BWV 650-668 & 769a) sur le même instrument bas-saxon est celle de Margaret Phillips (2005, tiré de son intégrale chez Regent).

Les deux premiers chorals dédiés à la Pentecôte rappellent les qualités de James Johnstone préalablement décelées : l’intelligibilité et la congruité du phrasé. Le second Komm, heiliger Geist, un des plus vastes chorals de Bach (moins de sept minutes pour l’intrépide Walcha II, mais on entend parfois le double en certains concerts !) se voit transporté par un tempo très allant et une moelleuse registration sur les fonds sans mixtures, et sans renfort pour la coda. Même entrain pour le lumineux Herr Jesu Christ, dich zu uns wend, dont l’essor s’allège par le seul recours à un 8’ de pédale. En tout cas, l’interprète sait adapter son allure au sens qu’il veut donner, par exemple dans les versets O lamm Gottes unschuldig, l’innocence de l’agneau illustrée par les suaves Gedacht puis Principal, avant l’épanouissement sans dureté du pedaliter (6’47) où les tribulations humaines viendront à peine menacer l’appel à la paix pascale, le tout porté par un tempo consolateur. La régularité de la pulsation n’inhibe pas la pureté de l’émotion, ainsi le Schmücke dich, o liebe Seele, ce « pare-toi, chère âme » admiré des Romantiques, ici chanté en toute simplicité, escorté par trois 8’ qui ne lestent pas la conduite.

Tout n’est pas parfait, certes. Le cantique d’action de grâces (BWV 657), fadement rendu, pourrait endosser un autre rayonnement. L’intimisme du Von Gott will ich nicht lassen, humblement dessiné, tout en souplesse, s’avère hélas trop tamisé. Non à cause de l’interprétation, mais plutôt de l’opacité de la prise de son. Un voile que réussit à percer l’arioso sur Rohrflöte et Quinte du premier Nun komm' der Heiden Heiland. La registration similaire (Principaux 8’ + 4’) pour les deux basses du Trio suivant tend à alourdir l’élan du continuo, malgré l’énergie qu’on y met, d’autant que la ligne d’alto (Hautbois éclairé d’un 2’) se distingue insuffisamment et aurait peut-être mérité un mélange plus saillant. C’est le genre de choral dont la véhémence peut y faire préférer l’éclat des anches surmonté d’un petit plein-jeu. Du moins le troisième choral dédié au Saveur des païens achève le CD1 par un magistral plenum étayé sur le Groß Posaunen 32’.

Honorable parcours pour les deux premières étapes de la triade de louange (Allein Gott in der Höh' sei Ehr) : registrations cossues, chant bien discerné, pulsation animée, même dans la profusion ornementale du BWV 663. En revanche, malgré la vitalité rythmique, les bruits mécaniques de la console (que nous ne détestons pas dans l’absolu tant ils ajoutent du craquant) perturbent l’allégresse du Trio BWV 664, qu’on voudrait immaculée et moins inertielle. Les rondeurs melliflues et les délicieuses luminescences des orgues néerlandais s’avèrent ici sans rivaux, et certainement plus proches des cieux que la sonorité rustique du colosse de St Georg. Sa rocailleuse puissance sied mieux au premier des Jesus Christus, unser Heiland et à l’invocation de l’Esprit Saint BWV 667. Et la rusticité n’est pas sans charme, ainsi An Wasserflüssen Babylon permet d’entendre en taille le joli Hautbois couplé à la Quintadena. L’ultime choral, celui de la créature au pied du Créateur, et vraisemblablement de Bach qui se voyait face à son Dieu, conclut ce recueil par l’humble piété qu’y cisèle James Johnstone aux 8’ et à la soubasse.

Dans l’ensemble, voilà un voyage fort réussi dans l’univers des Achtzehn Choräle von verschiedener Art. On en dira autant des six Schübler. Le célébrissime Wachet auf nous rappelle la tension discursive du précédent volume danois de l’organiste : scansion recto tono voire un peu sèche, malgré les délicieux trilles qu’il y parsème. Registrations économes mais perspicaces et parlantes, éloquence sans ostentation. Seul déçoit le Meine Seele erhebt den Herren un brin éteint ; rattrapé par les douceâtres et velus Principaux du lieu pour le Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ, et les jubilations du Kommst du nun, Jesu.

À vrai dire, pour résumer, la contrariété provient surtout de la captation : la spacieuse acoustique ambiante est bien rendue, mais l’instrument peine à s’y déployer, à y prendre corps, et la perspective manque de relief, d’ampleur, de transparence. Pour des saveurs moins délayées, un contact plus frontal, on pourra consulter l’album Georg Friedrich Kauffmann de Maurizio Croci (Stradivarius, octobre 2004). Pour le même programme dans une excellente prise de son, on pourra se reporter à Kåre Nordstoga dans son double SACD à Groningen chez Simax.

Insistons toutefois : on ne saurait ignorer ce disque, d’autant que James Johnstone le couronne par une magnifique version des Variations sur Vom Himmel hoch, ce suprême exercice de contrepoint basé sur un cantique de Noël, et qu’il introduit avec l’appoint judicieux des clochettes du Cymbelsterne. Au-delà du pittoresque, les doigts triomphent de toutes les gageures. Non moindre exploit, celui de se dégager de toute vaine abstraction et de suggérer, derrière l’enchevêtrement et les allusions symboliques, l’émerveillement de la nativité qui inspire ce cahier dont on avait oublié les attraits. Voilà une des multiples raisons d’aller à la rencontre de cet album et de souhaiter la poursuite de cette intégrale de l’œuvre d’orgue de Bach. Au regard des qualités de l’interprète, son habileté polyphonique, son sens narratif aiguisé, on attend impatiemment les Sonates en Trio, les Choralpartite et l’Orgelbüchlein dont on devine déjà comment James Johnstone parviendra à les clarifier, les vivifier.

Enfin, nous ne voulions pas conclure sans mentionner combien nous apprécions le graphisme des pochettes de la série, réalisé par Claire Christie Sadler, qui reprend des éléments de décor des instruments, ici l’angelot à mailloche juché au sommet du buffet.

Son : 7 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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