Le Quatuor Ebène renouvelle l’interprétation du Quintette de Schubert

par

0126_JOKERFranz Schubert
(1797-1828)
Quintette à cordes en ut majeur D. 956
Quatuor Ebène et Gautier Capuçon (violoncelle)
Lieder: Die Götter Griechenlands D.677, Der Tod und und das Mädchen D.531, Der Jüngling und der Tod D.545, Atys D.585, Der liebliche Stern D.861
Matthias Goerne (baryton), Quatuor Ebène, Laurène Durantel (contrebasse)
2016-DDD - 67’11 - Textes de présentation en anglais et français - Erato

Le Quintette de Schubert est certainement le sommet de son oeuvre de musique de chambre et on ne s’étonnera guère qu’il ait suscité pléthore d’enregistrements, dont de nombreux remarquables, à commencer par l’inoubliable gravure de l’ensemble réuni en 1952 à Prades autour d’Isaac Stern et Pablo Casals, la version authentiquement viennoise du Quatuor Weller gravée pour Decca en 1970, le Quatuor Melos et Rostropovitch à la fin de la même décennie sur DG, et la superbe et déchirante gravure des musiciens réunis autour d’Arthur Grumiaux (Philips) en 1980. (Et il ne doit pas manquer de versions tout aussi dignes de figurer à ce palmarès). Disons le tout de suite, ce nouvel enregistrement du Quatuor Ebène s’installe sans difficulté parmi les plus belles versions de cette musique merveilleuse par une approche qui apporte quelque chose de véritablement nouveau à l’interprétation de cette oeuvre sublime. Dès les premières mesures de l’Allegro ma non troppo qui ouvre l’oeuvre (et cette impression ne cessera de se vérifier jusqu’au puissant et rageur accord fortissimo qui la clôture), il est clair que ce n’est pas à un Schubert aimable et consolateur que le Quatuor Ebène et leur invité nous font entendre ici, mais un créateur d’une terrifiante lucidité. Les musiciens français, dont on admire à tout moment la maîtrise technique et la finesse des nuances, font preuve ici d’une patience dans la construction et d’une honnêteté sans fard qui rappellent fortement l’exemple du Quatuor Busch. On aura donc compris qu’on ne trouvera ni douceur viennoise, ni chaleur romantique conventionnelle dans cette lecture que certains trouveront impitoyablement analytique, mais qui a l’immense mérite de laisser parler Schubert pour lui-même. Et si le sublime Adagio paraît dans un premier temps comme radiographié, on se rend vite compte que la finesse de l’analyse comme la justesse de l’interprétation éclairent de l’intérieur la musique d’une lumière non pas blafarde, mais -bien au contraire- chaude et opalescente. Paradoxalement, l’irréprochable probité de l’interprétation ne retranche rien au mystère schubertien mais le rend -au contraire- plus miraculeux encore. A aucun moment la musique n’est sollicitée pour être autre chose que ce qu’elle est, et -comme à la conclusion de ce poignant mouvement-cette impressionnante retenue expressive (rien de superflu ici, pas une once de mauvaise graisse) donne l’impression que la musique se dissout d’elle-même. Le Scherzo est rendu dans une interprétation vitaliste et décidée, avec quelque chose qui semble par moments annoncer Janacek. Quant au Trio proto-mahlérien, il est l’occasion d’un miraculeux dosage de sonorités de la part de l’ensemble.
L’ Allegretto final , où le Quatuor Ebène et Gautier Capuçon comprennent parfaitement la nature de Ländler sublimé du mouvement (très fines nuances rythmiques de la part des musiciens) et nous amènent sans ciller vers le monde du Schubert lieblich, mais sans la moindre mièvrerie et avec de magnifiques demi-teintes.
En complément de programme, l’auditeur est plus que gâté par un choix de Lieder où il est beaucoup question de mort (magnifique version de La jeune fille et la mort) avec beaucoup de beauté vocale et d’émotion par le baryton Matthias Goerne accompagné par le Quatuor Ebène et la contrebassiste Laurène Durantel dans des arrangements très réussis, signés Raphaël Merlin, le violoncelliste du Quatuor.
Patrice Lieberman

Son 10- Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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