Le très inquiétant Cas Jekyll de François Paris

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Le Cas Jekyll de François Paris est une magnifique surprise. Malgré un dispositif minimaliste, l’ouvrage s’écoute comme un terrifiant épisode de la 4ème dimension. L’absence de surtitres ne gêne en rien la compréhension de l’histoire, et on se tient rivé à son siège durant la petite heure de représentation.

Créé en novembre dernier à Saint-Quentin en Yvelines (et repris ici au Théâtre de Malakoff), Le Cas Jekyll est le deuxième opéra de François Paris. Le précédent ouvrage du compositeur, Maria Republica à l’Opéra d’Angers-Nantes, tentait un mariage probablement trop ambitieux entre le grand opéra et l’univers sulfureux de l’écrivain Agustin Gomez Arcos. De façon problématique, l’ouvrage hésitait entre chronique réaliste et érotisme fantastique.

Rien de tout cela dans Le Cas Jekyll, grâce au fulgurant livret de Christine Montalbetti (adapté de sa pièce éponyme de 2010). En neuf scènes, on assiste à la lente métamorphose de Jekyll en Hyde meurtrier et dominateur. Difficile d’évaluer, si on n’a pas vu la pièce originelle incarnée notamment à la scène par Denis Podalydès, en quoi la musique de François Paris modifie le rythme interne du monologue théâtral. A l’opposé de Maria Republica, le compositeur français choisit une formation instrumentale volontairement modeste : un quatuor à cordes (le Quartetto Maurice) relié à un dispositif électronique discret. Ce qu’on perd en couleurs, on le gagne paradoxalement en cohésion et en diversité de climats. La musique suit implacablement l’action avec une évidence organique qu’on retrouve dans une écriture vocale aux contours ici aussi limités mais fertiles. Souvent proche de la déclamation et utilisant largement le falsetto, Paris parvient à une vraie signature lyrique, qui reste dans l’oreille longtemps après la représentation.

Le spectacle, commandé par l’Arcal, ne serait pas aussi réussi sans l’implication du baryton Jean-Christophe Jacques, impressionnant d’intériorité et de précision en Jekyll. Mais plus que le metteur en scène Jacques Osinski, c’est le scénographe et vidéaste Yann Chapotel qui apparait comme le véritable triomphateur de la soirée. Après son travail très remarqué aux côtés du Balcon (Lohengrin, Donnerstag aus Licht), l’artiste français signe d’inoubliables images mentales et cinématographiques. A l’aide de plusieurs caméras aux effets variés (floutage, vitrail, superposition de visages), Chapotel met sa virtuosité technique au service d’une esthétique du double à laquelle il apporte inquiétude existentielle et ampleur métaphysique. On reste saisis par la somme des différents éléments, livret, musique et mise en scène, qui contribuent à la réussite du spectacle. Le Cas Jekyll est l’une des très belles créations françaises d’opéra de chambre de ces dernières années.

Théâtre de Malakoff 8/2/2019

Laurent Vilarem

Crédits photographiques : Arcal

 

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