Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra triomphent dans Mozart

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Mozart Momentum 1785.  Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano et orchestre n° 20 en ré mineur, K.466, n° 21 en ut majeur, K. 467, n° 22 en mi bémol majeur K. 482 ; Fantaisie en ut mineur pour piano, K. 475 ; Musique funèbre maçonnique en ut mineur, K. 477 ; Quatuor pour piano, violon (Matthew Truscott), alto (Joel Turner) et violoncelle (Frank-Michael Guthmann) n° 1 en sol mineur, K. 478.  Leif Ove Andsnes (piano et direction), Mahler Chamber Orchestra.  2021 Texte de présentation en anglais et allemand- Sony Classical 19439 72426-2

Il ne faut surtout pas se fier à la photo de couverture en noir et blanc de cet album de 2 cd consacrés à quelques uns des plus beaux fruits de cette miraculeuse année 1785 qui vit l’éclosion d’une extraordinaire série de chefs-d’oeuvre mozartiens. On y voit un Leif Ove Andsnes à la monture de lunettes stricte et l’expression sévère fixer de façon assez intimidante l’objectif du photographe. Heureusement, ce qui nous sera donné à entendre dans cet exceptionnel double album dément à chaque seconde la froideur de ce peu engageant cliché.

Les trois concertos qui nous sont offerts ici ont été enregistrés à la Philharmonie de Berlin en novembre 2020, en plein confinement. Le livret nous montre d’ailleurs les musiciens (pendant un enregistrement de concert semble-t-il) respectant strictement la distance physique imposée, ce qui -heureusement- n’inhibe en rien la qualité de leurs prestations.

Dès l’introduction du Concerto N° 20 prise dans un tempo posé, on est frappé par les couleurs sombres et la sonorité mate des cordes jouant avec peu ou pas de vibrato, et par cette atmosphère mystérieuse et tendue qui semble déjà préfigurer le Don Giovanni qui viendra deux ans plus tard. Dès l’entrée du piano, on est conquis par la tranquille maîtrise d’Andsnes, par sa façon d’accorder à chaque note le poids et la sonorité juste, de phraser à la perfection et de considérer soliste et orchestre comme des partenaires égaux. Dans la Romanze, Andsnes expose le thème à la perfection et obtient une véritable respiration d’un orchestre qui fait preuve d’un véritable sens du bel canto, respirant et articulant parfaitement (le vibrato est ici également réduit au minimum). Dans la section centrale, le pianiste réussit aussi bien le dialogue main gauche-main droite que celui avec l’orchestre. Tout est juste ici et on admire sans réserve la précision du toucher, la subtilité de l’usage de la pédale ainsi que l’ornementation discrète. Le retour du thème au piano seul est captivant. On pense beaucoup à Rudolf Serkin ici pour cette façon qu’Andsnes a de ne jamais confondre beauté et joliesse ni rigueur et sécheresse. Le Finale est abordé sans précipitation et avec beaucoup de caractère. On admire l’agilité parfaite du soliste dans les traits de virtuosité, entre autres dans la belle cadence de Hummel. La conclusion du mouvement est énergique et enlevée et on doit se retenir pour ne pas applaudir.

On retrouve les mêmes qualités dans le Concerto N° 21, avec un Allegro maestoso abordé avec beaucoup d’allant et de fermeté, des trilles parfaits et, plus que tout, ce don du chant qui est la marque du vrai mozartien. La façon dont piano et orchestre se donnent la réplique est un modèle du genre, ainsi que la façon dont le caractère dramatique de la musique est toujours présent sans être jamais exagéré. Le célèbre Andante frappe par son allant (c’est bien ce qu’andante veut dire) et son naturel. Le soliste avance d’un bon pas et phrase avec simplicité et sans alanguissements malvenus, alors que les bois chantent comme dans le plus beau des airs d’opéra. On perçoit bien ici ce qu’apporte un orchestre de chambre de cette qualité en matière de transparence et de couleur. Le concerto se termine sur un Finale plein d’esprit.

Suivant l’ordre du catalogue Köchel, Andsnes entame le deuxième cd par la sombre Fantaisie en ut mineur, K. 475, menée avec une sûreté et une intelligence remarquables ainsi qu’une parfaite compréhension de ce qui se passe à tout moment dans la musique. La vue d’ensemble est infaillible et -une fois encore- si tout est pensé, rien n’est jamais desséché. Le dépouillement et la simplicité de l’Andantino sont admirables, et le pianiste norvégien atteint à une réelle profondeur dans cette interprétation qui réussit à être à la fois austère et passionnée.

Pour le Quatuor à clavier K. 478 (enregistré à Brême en février 2020, soit juste avant le confinement), Andsnes est rejoint par les chefs de pupitre du Mahler Chamber Orchestra. L’Allegro introductif est sombre, sérieux, dramatique (et on sait que sol mineur est une tonalité qui a quelque chose de tragique chez Mozart). On remarque le son volontairement mince (mais pas décharné) des cordes jouant ici sans vibrato. Le pianiste est, sans jamais tirer la couverture à lui, naturellement le primus inter pares. Andsnes nous livre une très belle introduction solo à l’Andante central où les cordes se permettent un tout petit peu de vibrato. Le Rondo conclut l’oeuvre dans une atmosphère de joie mesurée, sans exubérance.

S’accordant un petit répit, Andsnes confie la direction de l’orchestre au premier violon Matthew Truscott qui conduit l’ensemble dans une Musique funèbre maçonnique d’une vraie grandeur mais sans pathos superflu.

Premier concerto de Mozart à incorporer des clarinettes dans l’orchestre, le K. 482 est aussi l’un des plus majestueux et plus longs de l’auteur. Dans la riche introduction orchestrale, Andsnes se montre grandiose mais jamais pompeux. A nouveau, tout est ici parfait, en ce compris la cadence de la plume de John Fraser, le producteur de cet enregistrement. L’Andante en ut mineur fait entendre une douleur digne et une émotion encore plus forte parce que contenue. On admire l’éloquence touchante du soliste, son refus de l’effet et une pureté de phrasé proprement chopinienne. Tout ici est toujours miraculeusement juste (et la comparaison avec Serkin s’impose une fois de plus). Le Rondo final est pétillant et -une fois de plus- plein d’esprit, et rien ne sent jamais la routine. On pense au retour du refrain qui n’a jamais rien de mécanique (et on en profite pour saluer les belles contributions des cor, clarinette, flûte et basson). L’épisode Andantino cantabile est joué à la perfection et le pianiste enchante par sa simplicité, sa beauté de son et sa virtuosité sans ostentation. 

Si on ajoute une prise de son de démonstration et un splendide piano parfaitement réglé, on aura compris que nous avons ici un enregistrement qui se hisse sans peine au sommet de la discographie pourtant abondante de ces oeuvres. 

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Patrice Lieberman

 

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