L'Enfant et les sortilèges

par

A partir du moment où la réalisation des véritables chefs d’œuvre est sincère, le charme opère. C'est presque toujours le cas avec Mozart et Ravel. Au Théâtre des Champs-Elysées c'est « L'Enfant et les sortilèges » qui fait vibrer une salle archi comble pour douze représentations. La Maîtrise des Hauts de Seine, en ses diverses formations sous l'énergique direction de Gaël Darchen fait preuve d'un engagement, d'une concentration et d'un sérieux à souligner. La mise en scène (due également au directeur musical) se révèle efficace, bien rythmée. Chorégraphies et jeux de scènes parfois espiègles (petits élèves et grenouilles) et fort gracieux (Tasse et Feu) sont exécutés avec entrain sans mièvrerie. Les costumes chatoyants des Libellules, du Feu, de la Princesse et des petits animaux charment. De judicieux éclairages permettent de soutenir le rythme tout en estompant la modestie des décors. La ribambelle des Pastoureaux un peu sacrifiée au profit d'un ensemble choral ne bénéficie que d'une gestuelle sommaire. Fanny Crouet (Le Feu, le Rossignol) et Laure Barras (La Princesse, l’Écureuil) manquent de cette projection et de cette virtuosité qui permettraient de toucher les petits auditeurs qui entendent une voix chantée pour la première fois. Tandis que la diction souvent trop floue ne permet pas de savourer la malice de textes auxquels l'humour de Ravel a beaucoup contribué. En revanche, l'Enfant est joué et chanté avec verve, justesse et conviction par Alix Le Saux. Mais pourquoi l'avoir affublée d'une robe à carreaux, manches ballon, soquettes blanches et nattes ? Le résultat esthétique est consternant mais surtout contraire au livret, contraire aux intentions de Colette et Ravel, contraire à la psychologie de l'enfance. On sait que Colette avait proposé à Ravel un sujet intitulé « Ballet pour ma fille ». A quoi Ravel répondit qu'il ne pouvait accepter n'ayant pas de fille(!). Si bien qu'en définitive, l'Enfant est resté « neutre » - « Bébé »- ce qui coïncide parfaitement avec la période du développement psychique dite de latence (entre 5 et 12 ans). Quant à la question de savoir pourquoi Ravel a écrit le rôle de l'Enfant pour une voix féminine de mezzo-soprano, ce n'est évidemment pas parce que l'Enfant serait une fille ! Ce serait ignorer les typologies vocales belcantistes chères à Ravel où un rôle féminin peut être interprété par un homme et un personnage masculin par une femme comme chez Haendel, Mozart, Rossini, Gounod ou Massenet. Par ailleurs, contrairement aux assertions du livret de présentation, « L'Enfant et les sortilèges » n'a jamais été destiné à une distribution et un public enfantin. Certes son sujet concerne l'enfance. C'est tout. Enfin, à partir du moment où la Caisse des Dépôts, le Théâtre des Champs-Elysées, la chaîne France 3 et le département des Hauts de Seine sont à l'origine du financement, la réduction de l'orchestre à un ensemble de huit instrumentistes comme la transcription sont indéfendables. Elles privent la partition d'une partie de son rayonnement, de sa vigueur, appauvrit la féerie ravélienne en la réduisant à des lignes brutes en dépit de l'excellent premier violon de Sébastien Surel. Et on déplorera tout autant la programmation qui suivra en avril : « Le Carnaval des animaux » cuisinés à la sauce jazzy ! Les morts ne peuvent plus se défendre (voir les lettres furieuses de Ravel interdisant l'exécution de « Daphnis et Chloé » à Londres sans les chœurs qu'il avait prévus). Pourquoi ne pas composer une partition originale (où les droits d'auteur seraient cette fois légitimes et non le fruit d'une « adaptation ») ou alors respecter ce que l'auteur a voulu ? Sans compter que le public enfantin ne saurait servir d'alibi à une interprétation au rabais. Heureusement, sous les plafonds de Maurice Denis -admirable peintre de l'enfance- il se passe entre la scène et la salle ce mystérieux éveil de sensibilité rétif à toute rationalité, cher à l'écrivain et au compositeur. Ma petite voisine de 10 ans, étudiant au violoncelle « la pièce en forme de Habanera » comme les commentaires des critiques en herbe entendus à la sortie en témoignaient. Ravel affirme que le don le plus précieux pour un jeune musicien est la curiosité. Gageons qu'en dépit des réserves précitées, le but est atteint.
Bénédicte Palaux Simonnet
Théâtre des Champs-Elysées, le 18 mars 2016

Les commentaires sont clos.