Les Ébène et Antoine Tamestit : une respiration complice pour deux quintettes de Mozart

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintettes à cordes en do K. 515 et en sol mineur K. 516. Quatuor Ébène ; Antoine Tamestit, alto. 2020. Notice en anglais, en français et en allemand. 71.57. Un CD Erato 5054197213328. 

Le 15 mars dernier, dans un entretien accordé à Crescendo, le violoncelliste Raphaël Merlin confiait à Pierre Jean Tribot que le Quintette K. 516 de Mozart avait été joué régulièrement par le Quatuor Ébène, dont il fait partie, avec divers artistes rencontrés au fil du temps. L’opportunité s’est présentée de pouvoir le graver avec un complice de longue date, l’altiste Antoine Tamestit, lors de la séquence du Covid, en juin 2020, les agendas des partenaires étant alors compatibles. Raphaël Merlin ajoutait ce qu’il écrit aussi dans la notice de présentation qu’il signe, à savoir que cette œuvre demeure une œuvre-repère, un baromètre, un rendez-vous, un lieu de pèlerinage. A ce monument de la musique de chambre vient s’ajouter un autre, le Quintette K. 515, page instrumentale elle aussi de grande dimension. Les deux partitions ont été composées en cette année 1787 qui va être marquée, en octobre, par la création à Prague de Don Giovanni. Mozart n’avait plus abordé cette forme chambriste depuis près de quinze ans, le Quintette K. 174 datant de 1773.

Avec de tels interprètes, que l’on ne présente plus, le résultat est à la hauteur de la rencontre : équilibre parfait, respiration musicale sans failles, charisme partagé et élégance de l’approche font de ces versions des références essentielles de notre temps. On pourrait qualifier de solaire le K. 515 et de dramatique le K. 516. Une tension s’installe, nimbée de naturel, dans le premier nommé, par le dialogue d’entrée entre le violon et le violoncelle, les thèmes contrastés de cet Allegro se déployant ensuite dans une expressivité chaleureuse, qui sera la ligne directrice de tout ce programme fastueux, se situant dans un climat de romantisme avant l’heure, plein de rondeur et de chaleur. Les instruments rivalisent de grâce et de raffinement, dans une complicité palpable. Le lyrisme du Menuetto. Allegretto révèle le charisme commun, avant un Andante au sein duquel les archets rivalisent d’émotion et de luminosité, sans passer à côté des aspects ardents et nostalgiques. Quant à l’Allegro final, il est animé par une énergie qui étale sa vitalité, maintenue de façon inspirée jusqu’à la conclusion qui met bien en évidence le qualificatif solaire attribué à ce quintette, servi ici par des instrumentistes en parfaite osmose. Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure aux violons, Marie Chilemme à l’alto et Raphaël Merlin déjà cité, au violoncelle, sont en forme optimale. Antoine Tamestit se glisse dans ce partage avec fluidité, sa présence complétant une riche empathie musicale.  

L’osmose se vérifie tout autant dans le K. 516, avec sa tonalité en sol mineur, qui souligne l’angoisse due à des circonstances de la vie de Mozart, parmi lesquelles figure la proximité du décès de son père le 28 mai 1787. Le fils, qui connaissait la gravité de la maladie paternelle, a terminé son quintette douze jours auparavant. D’autres tourments, non liés à la disparition de Léopold, l’agitent en cette période, et l’inquiétude sourd à travers toute la partition. On relira à cet égard ce qu’ont écrit Harry Halbreich et Jean-Alexandre Ménétrier dans le Guide de la musique de chambre, coordonné par François-René Tranchefort (Fayard, 1989). Dans la présente version, on est happé dès le thème initial de l’Allegro par la cohérence de l’ensemble, entre communion intime et écoute mutuelle, une sorte d’affrontement des archets n’étant qu’une concentration développée. La tendresse domine le second mouvement, avant un Adagio ma non troppo d’une beauté qui reflète aussi bien la douleur que le déchirement, à la manière d’une plainte qui n’en finirait pas. C’est un Adagio qui ouvre le final, avec intensité, suivi par un Allegro au sein duquel les inflexions des partenaires se révèlent à travers la contradiction d’une joie mêlée à une poésie à la fois touchante et brûlante. Du grand art, que distillent les Ébène et Antoine Tamestit avec une confondante aisance, qui rend bien compte du travail interprétatif qui a été réalisé. Un album indispensable à toute discothèque mozartienne.  

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10 

Jean Lacroix

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