Les grandes pièces d’orgue de César Franck, deux nouvelles parutions

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César Franck (1822-1890) : Six Pièces. Trois Pièces. Trois Chorals. Stefan Schmidt, orgue de l’église St. Peter de Düsseldorf. Livret en allemand et anglais. Juillet 2002. Digipack deux SACDs 80’32’’ + 80’14’’. Unda Maris UM-20601

César Franck (1822-1890) : Grande Pièce Symphonique Op. 17. Prière Op. 20. Choral no 3. Fantaisie en la. Jean-Baptiste Courtois, orgue de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Vouvant. Avril 2024. Livret réduit à un feuillet, en français. 68’03’’. Chanteloup Musique OMV 004

En 2022, l’anniversaire du compositeur procura quelques remarquables parutions que nous avions commentées : le grand style de Michel Bouvard à Toulouse, les huiles fantasques d’Olivier Vernet à Caen, le regard contemplatif de Jean-Luc Thellin à Bécon-Courbevoie, l’ambition rénovatrice de Joris Verdin, Cindy Castillo et Bart Verheyen (MEW), les justes intuitions d’Ami Hoyano à Saint-Omer. Le présent digipack arrive après les commémorations et n’est pas une réédition : ces sessions de juillet 2002 demeuraient dans les archives du perfectionniste Christoph Martin Frommen. Aucun scrupule ne s’opposerait sérieusement à la diffusion de ces enregistrements. Mentionnons que les six pièces op. 16-21 et celles publiées en 1883 ne se suivent pas dans l’ordre du programme, mais ont été ventilées sur les deux SACD pour en homogénéiser les minutages.

Titulaire en la cathédrale de Würzburg depuis une vingtaine d’années, Stefan Schmidt occupait précédemment le poste de Cantor de l’église St. Peter de Düsseldorf, sa ville natale. De cette époque date un album consacré à Maurice Duruflé (Aeolus, 2001), capté sur l’orgue nouvellement construit par Karl Göckel, qui s’illustre ici dans cette intégrale des grandes pages de César Franck. Nous l’entendons dans son état antérieur à l’incendie de 2007, qui ravagea la charpente et nécessita une rénovation complète de cet instrument. Rappelons que ce facteur avait expertisé en 1991, –non sans s’instruire de cette expérience, l’orgue du Conservatoire de Moscou, abritant l’ultime réalisation de Cavaillé-Coll, achevée par Charles Mutin.

À la console de la Peterkirche : une soixantaine de jeux sur trois claviers à traction mécanique et pédalier, pour une esthétique symphonique française inspirée par des Cavaillé-Coll comme ceux de la cathédrale d’Orléans et la basilique Sainte-Clotilde de Paris, associée à Franck de 1859 à sa mort. Une sonorité plutôt avenante, à la fois charnue et aérée, telle que le permet la distribution spatiale, assise sur des basses profondes et rayonnantes (l’abyssale rumeur dans le premier Choral, après 5’08, ou dans la méandreuse passacaille du second).

L’interprétation est tout sauf métronomique et se distingue par son caractère narratif, ses phrasés scrutés et fouillés, ce qui nous vaut une Prière, un Cantabile particulièrement habités. On saluera aussi l’exemplaire dramatisation des volets de la Grande Pièces Symphonique, la suggestive imagination prêtée aux Chorals en dépit de quelques stagnations dans le troisième, –rédimées par une conclusion magistrale. Et encore une superbe déclamation de la Pièce héroïque, conclue dans le grondement des bombardes. Sur un instrument inattendu, qui lui inspire une éloquente sensibilité, Stefan Schmidt avère ses affinités avec l’univers du Pater Seraphicus, qu’il visite non comme un monument à révérer mais comme un roman à animer.

Après un portrait inaugural et un florilège invitant au voyage par Virgile Monin, le tout récent orgue de Vouvant montrait ce qu’il a dans le ventre avec cette anthologie de quatre œuvres tirées du catalogue de César Franck. Prévenons qu’il faudra modérer votre habituel volume d’écoute de cinq ou six décibels tant le niveau de gravure est abusivement élevé, et donne même parfois la fâcheuse impression de saturer. Au demeurant, la roborative captation délivre un relief des plus rassasiants, même si on aurait apprécié des dynamiques mieux graduées. D’un point de vue auditif et interprétatif, nous ne sommes pas invités au royaume de la nuance. Mais de l’invention protéiforme, sculptée dans l’instant comme la glaise sur le tour du potier. Ou comme d’un apprenti sorcier dont on se demande ce qui bout dans son chaudron.

Même la Prière se voit investie d’une singulière urgence, Jean-Baptiste Courtois lui soutirant un brûlant épanchement, dans une acoustique peu réverbérée qui certes ne prête pas à jouer de la résonance. Pour la Grande Pièce, colorisée comme jamais, on ne concevrait pas une approche plus théâtrale, où la tribune exhibe ses ressources orchestrales en pressant tous les tubes de gouache. Même impatience pour la Fantaisie qui voudrait repousser les cadres, jaillir du tableau, et répugne à toute grisaille de bas-relief.

La démonstration virtuose s’exacerbe dans le troisième Choral, élancé sur des anches hurleuses, et qui ne se départira pas de sa flamme oratoire, embrasée dans un incendie rhapsodique. Jean-Baptiste Courtois arbore une vertu, un courage pas si courants dans cet univers trop souvent voué aux ruminations sulpiciennes, et que Joris Verdin avait contribué à dépoussiérer, par son allègement des textures et la vivacité des traits. Aller droit au but semble le crédo de ces lectures vertigineuses qui magnifient l’éclat spontané. Les tuyaux de Vouvant, en pleine santé, se font l’avocat de ce verbe polémiste qui, pour l’auditeur habitué de ces œuvres, prêtera à la controverse. À rebours de tout académisme, une leçon, sinon un manifeste : ce Franck nietzschéen risque de surprendre, ne sera pas du goût de tous, mais captivera par ses audaces fauvistes.

Christophe Steyne

S. Schmidt = Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

J.B. Courtois = Son : 8 – Livret : 4 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

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