Douze pièces de Franck : le sacre inattendu d’Ami Hoyano sur le Cavaillé-Coll de Saint-Omer

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César Franck (1822-1890) : Six Pièces. Trois Pièces. Trois Chorals. Ami Hoyano, orgue de la cathédrale de Saint-Omer. Livret en japonais, français et anglais. Août 2022. Coffret trois CDs TT 57’30 + 59’18 + 45’09. Kojima Recordings / Alm Records ALCD 9245-9247 

Fondé en 1974, Kojima Recordings mène une active ligne éditoriale (plus de six cents disques) sous étiquette Alm Records, un label nippon qui ouvre régulièrement ses micros à l’orgue, et notamment au Baroque germanique. On citera les références consacrées à Bach et ses devanciers nord-allemands, par Yuichiro Shiina aux prestigieuses tribunes de St. Ludgeri à Norden et de Porrentruy, l’Orgelbüchlein et la Clavier-Übung III par Tomoko A. Miyamoto. Le répertoire symphonique d’école française abonde également le catalogue de la marque : un album Tournemire par Hiroko Takahashi, et désormais cette galaxie des « douze pièces » franckistes, confiée à la talentueuse Ami Hoyano. Lauréate de l’Université Geidai de Tokyo, puis aguerrie en Europe dans les classes d’Olivier Latry, Michel Bouvard (CNSMDP) et Bernard Foccroulle (Conservatoire de Bruxelles), elle fut primée en 2010 au Concours international Pierre de Manchicourt.

À la cathédrale de Saint-Omer, l’éminent Cavaillé-Coll des Hauts de France avait déjà accueilli plusieurs enregistrements dévoués à César Franck, par Nicolas Danby (Virgin, 1990), par Joris Verdin (Ricercar, 2011), et même une captation vidéo par David Noël-Hudson (les trois Chorals, DVD FSF). L’absence de 32’, requis par certaines pages, est contrebalancée par des anches distinguées, des fonds majestueux et une patricienne harmonie, qui rayonnent du superbe buffet des frères Piette et Baligand. L’interprète perce tous les secrets de cette palette, que ce soit dans les registrations d’apparat ou les moments recueillis (Prière). Grâce à la prise de son de Roger Lenoir, l’instrument audomarois a rarement résonné aussi somptueusement qu’ici.

L’organiste japonaise prend le temps de sculpter chaque phrase, de laisser s’épanouir un discours volontiers monumental, pour preuve la Pièce Héroïque, dont la magistrale conclusion semble sous ses doigts briguer un vent d’éternité. Quitte à ce que le grandiose flirte avec une grandiloquence non avare de panache (Final opus 21). Pour autant, au sein de la vaste forme, c’est le soin accordé au façonnage qui retient l’attention, offrant un discours où l’agogique flatte la malléabilité de l’instant et convoie une sensibilité immédiatement séduisante (exemplaire Fantaisie en la majeur). Dans le scherzo en si mineur de la Grande Pièce symphonique, on se grisera de la diaphane et spumescente envolée du perpetuum mobile et son surnaturel cortège (15’52), lubrifié comme jamais. Cette souple conduite dérive d’un certain romantisme, sainement inspiré, mais sait aussi ganter des énoncés parfaitement ajustés (la droiture du Cantabile et sa fière Trompette au Récit) et réglés (staccato de la Pastorale).

À vrai dire, pour chacun des trois Chorals, il existe des alternatives plus typées depuis celles de Marcel Dupré à New York (Mercury) et Jeanne Demessieux à Genève (Decca) dans les années 1950. L’irréprochable exécution ne bouleverse pas la discographie, mais s’autorise à la toiser d’altitude. Les relents morbides du second y sont d’emblée transfigurés par une diction minutieuse, polarisés par un sobre affect. L’impeccable tenue instituée à l’ensemble du cycle s’avère des plus loyales : rectitude néoclassique du premier, dessiné avec le raffinement et les intensifications souhaitables ; usinage méticuleux et ébarbé du troisième, fût-il d’une trajectoire trop linéaire -infime regret pour qui préfère les poussées en asymptote.

En 2022, l’anniversaire du compositeur procura quelques remarquables réalisations ; nous vantâmes le grand style de Michel Bouvard à Toulouse, les huiles fantasques d’Olivier Vernet à Caen, le regard contemplatif de Jean-Luc Thellin à Bécon-Courbevoie ou de Rodolfo Bellatti sur la plantureuse console de Catane, l’ambition rénovatrice de Joris Verdin, Cindy Castillo et Bart Verheyen (MEW). Voici un enviable codicille : minute après minute, on salue une complète et incessante réussite. Sans fausse jouvence ni élixir de perlimpinpin. Quand se referme ce coffret, on avoue surtout que s’y démontre une sûre idée de l’excellence. Un tracé de maître. Globalement, Ami Hoyano guide une vision, une concrétisation suprêmes. En tant qu’intégrale, la cohérence du propos signe un témoignage de haute couture. Non des modes qui se démodent, mais qui relèvent d’une élégance incorruptible. Dans ce registre de l’évidence, avait-on admiré un tel accomplissement depuis une autre dame, voilà vingt ans déjà, -Susan Landale chez Calliope ?

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Ami Hoyano

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