Les Musiciens de la Grande Guerre (2)

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Continuant sur leur lancée, les éditions Hortus font paraître trois nouveaux CD de compositions intéressantes parues autour de la guerre 14-18. Voici les volumes IV, V et VI

IV.   Mélodies - Prescience, conscience Mélodies de Halphen, Février, Jürgens, Ravel, Butterworth, Kelly, Fauré, Farrar, Devaere, Stephan, Debussy, Hahn et Schulhoff Marc MAUILLON (ténor), Anne LE BOZEC (piano) 2014-DDD-69' 49''-Notice en anglais et en français-chanté en français, anglais et allemand-Hortus 704 La mélodie est un genre très particulier, cultivé dans tous les pays occidentaux sous des noms différents : mélodie, lied, song, romance. L'union intime de textes et de musique reflètent l'âme d'une époque, et celle entourant la Grande Guerre a été propice à d'innombrables réflexions lyriques. En voici un beau florilège, qui illustre la floraison du genre, des deux côtés des tranchées. Il y a tout d'abord l'excitation de découvrir quelques musiciens très inconnus, tels le français Fernand Halphen, le belge André Devaere ou l'australien Frederick Septimus Kelly. Celui-ci, par exemple, auteur d'un joli song sur un poème de Shakespeare, fut champion olympique d'aviron en 1908 et tué à Gallipoli en 1916. Plus connus sont les anglais Ernest Farrar, présent avec trois petites pièces pour piano, et surtout Georges Butterworth, mort à la Somme à 31 ans. Deux pièces pour orchestre et de nombreuses mélodies, dont deux ici enregistrées, forment le legs de celui qui devait sans doute devenir un nom important de la musique britannique. Fritz Jürgens, Rudi Stephan et Erwin Schulhoff représentent les Allemands. Si le premier d'entre eux, assez lugubre, ne laisse pas trop de traces dans la mémoire, il n'en est pas de même de Rudi Stephan (Heimat), d'un grand sentiment et à l'écriture pianistique inventive, ou d'Erwin Schulhoff, au langage plus moderne : Nun versank der Abend témoigne de l'immense fatigue de ces temps éprouvants. Quant aux Français, distinguons un petit Fauré de circonstance mais réussi (C'est la paix !), deux chansons de Ravel dont l'amusante Nicolette, le célèbre Noël des enfants qui n'ont plus de maison de Debussy, ou la très poignante Dernière chanson d'Henry Février, l'auteur de Monna Vanna, que l'on n’attendait pas dans un registre aussi intime. Toutes ces petites merveilles  sont fort joliment chantées par le ténor aigu Marc Mauillon et accompagnées par Anne Le Bozec, déjà admirée dans le troisième volume de la collection.
Son 9 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Grande Guerre 5V. La Naissance d'un nouveau monde Erwin SCHULHOFF (1894-1942) Sonate pour violoncelle et piano Frank BRIDGE (1979-1949) Sonate pour violoncelle et piano Enrique GRANADOS (1867-1916) Madrigal Joseph BOULNOIS (1884-1918) Sonate pour violoncelle et piano Jacques de la PRESLE (1888-1969) Guitare Thomas DURAN (violoncelle), Nicolas MALLARTE (piano) 2014-DDD-80' 50''-Notice en français et en anglais-Hortus 705 Faut-il saluer un nouveau monde ou s'accrocher à l'ancien qui meurt ? Ce cinquième volume tente de répondre à ce dilemme, et regroupe d'intéressantes oeuvres pour violoncelle et piano. La première surtout. Erwin Schulhoff survivra à la première guerre mondiale, mais non à la seconde : il mourra à Theresienstadt. Sa sonate est un pur joyau de l'expressionnisme allemand mâtiné d'influence debussyste. Elle se termine par un adorable petit menuet et un rondo espiègle et folâtre, d'excellente facture, qui pourrait être d'un Saint-Saëns moderne. La sonate de Frank Bridge, plus conventionnelle, très chromatique, reste encore fort tributaire de Brahms. Joseph Boulnois était pour moi un total inconnu au bataillon. Chef de chant à l'Opéra-Comique, organiste, il est engagé comme infirmier à la tête d'un hôpital, où il organise des concerts. Encore un compositeur fauché trop tôt : sa sonate est révélatrice d'un tempérament assez original. Elève de Vierne, il se démarque petit à petit de l'école franckiste. Si les deux premiers mouvements se ressentent encore de cette influence (il y a du Pierné aussi, dans le premier), le scherzo, très court et tout en pizzicato, est surprenant. Quant au finale, chantant et joyeux, il déborde d'une  puissance optimiste étonnante en 1917. Voilà une fort belle découverte ! Le CD conclut par une petite pièce entraînante du Prix de Rome Jacques de la Presle.
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

musiciens_grande_guerre_hortus_6_570VI. Métamorphose Pièces pour orgue de Andriessen, Jongen, Prokofiev, Reger, Boulnois et Ravel Tomas MONNET, à l'orgue Stahlhuth-Jann de Dudelange (Luxembourg) 2014-DDD-78' 50''-Notice en français et en anglais-Hortus 706 Thomas Monnet est l'auteur de la première intégrale discographique de l'oeuvre d'orgue de Jean-Louis Florentz. Il aussi grand amateur de transcriptions, de Dvorak à Stravinsky. Fête-Dieu, d'Hendrik Andriessen (1918) est une page imposante, écrite après une rencontre d'une procession sur fond de grondement des canons. Exilé en Angleterre, Joseph Jongen compose en 1917 deux pièces détendues. La première, Chant de may, est plutôt impressionniste et, pour tout dire, ravissante. La seconde, Menuet-scherzo, évoque Jehan Alain, et conclut de manière abrupte. Max Reger (1973-1916) a beaucoup écrit pour orgue, et son corpus est vénéré en Allemagne. Trauerode, longue méditation extatique célébrant le sacrifice des victimes de la guerre, écrite la dernière année de sa vie, ne quitte quasi pas le registre pianissimo. Nous retrouvons ensuite Joseph Boulnois avec sa transcription d'un choral pour piano, de tradition franckiste. Les deux autres transcriptions concernent des oeuvres très célèbres. Tout d'abord, la Toccata opus 11 de Prokofiev, sans grand intérêt. Puis Le Tombeau de Couperin de Ravel, version intégrale. Si le prélude initial donne assez bien à l'orgue, ce n'est le cas ni du Rigaudon, ni du Menuet, devenu bien lourd. La Toccata, par contre, résiste à l'épreuve. Toute oeuvre n'est pas apte à transposition pour le roi des instruments. On a même essayé Les Planètes de Holst, avec un succès mitigé, ou, plus heureusement, des pages symphoniques de Wagner. Prokofiev et Ravel ne sont pas fait pour cela. Ce qui n'enlève rien au talent virtuose de Thomas Monnet.
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 8 - Interprétation 10

Bruno Peeters

 

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