Les Suites pour violon seul de Johann von Westhoff par Plamena Nikitassova : un feu d’artifice

par

Johann Paul von WESTHOFF (1656-1705) : Suites pour violon seul. Plamena Nikitassova, violon. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 56.59. Ricercar RIC 412.

Le label Ricercar poursuit sa route discographique, au moment où il vient de célébrer ses quarante ans d’existence. Fidèle à l’une de ses philosophies fondamentales, l’approfondissement du répertoire baroque, il propose un programme dédié à l’un des compositeurs les plus représentatifs de l’école des violonistes du XVIIe siècle à Dresde. Comme c’est le cas pour d’autres créateurs de l’époque, on ne dispose, au sujet de Johann Paul von Westhoff, que d’un nombre limité d’indications biographiques, reprises dans la notice que signe le Professeur Peter Wollny, directeur des Archives Bach de Leipzig. On y apprend que le compositeur connut une vie aventureuse. Né à Dresde où son père était luthiste et tromboniste, on ignore quelle fut sa formation. Il se serait mis à voyager à dix-huit ans, d’abord à Lübeck, ville natale de son père. De retour à Dresde, il la quitte avant que la peste n’y arrive, on le retrouve à Stockholm au service d’une princesse, où ses talents de virtuose du violon font merveille. Ce sera ensuite deux pays baltes, alors suédois, puis à nouveau Dresde où il participe à une campagne militaire. Chargé sans doute de missions diplomatiques, il aboutit à Florence puis à Paris, où sont publiées deux de ses compositions en 1682/83. Il aurait joué devant Louis XIV, qui, enthousiasmé, aurait donné le nom de « La Guerre » à un mouvement de sa Suite pour violon seul sans basse continue. Son passage est mentionné aussi à Londres, à nouveau à Dresde, puis à Vienne, en Hollande, en Brabant et en Flandre pour une tournée !   

En 1685, il se marie à Dresde et devient professeur de langues des Princes de Saxe, mais il quitte la cour de l’électeur lorsque celui-ci se convertit au catholicisme. Il devient alors professeur à l’Université de Wittenberg, est nommé à la Cour de Weimar (y rencontre-t-il Bach ?). On ignore s’il accomplit d’autres voyages, mais la particule « von » n’apparaît pas avant la fin des années 1690. Il pourrait avoir été anobli à Vienne. Il décède à 49 ans. Ce qui est certain, c’est que ce virtuose du violon était reconnu et apprécié internationalement.

Ce parcours biographique aux multiples inconnues correspond un peu à ce que l’on connaît de ses compositions : un petit nombre en est conservé. Certaines ont disparu, des exemplaires de sonates de 1694 existent toujours, de même que la collection publiée en 1696 de six Suites, base du présent enregistrement. Cinq d’entre elles figurent ici ; la fin de la sixième étant manquante, c’est une Suite publiée à Paris en 1683, à l’époque où le Roi Soleil l’admira, qui la remplace. Organisées selon une même structure (Allemande, Courante, Sarabande, Gigue), ces suites « représentent une tentative audacieuse de traiter le violon non pas comme un instrument mélodique, mais comme un instrument harmonique ayant la capacité de jouer de façon polyphonique », écrit le Professeur Wollny. Peut-être influencées par le souvenir de son luthiste de père, ces œuvres sont en tout cas très exigeantes sur le plan technique, tout en présentant une infinie variété de nuances, qu’il s’agisse des harmonies, des fugues, des aspects dansés. La Suite parisienne est bâtie sur le même schéma, mais avec un Prélude et une deuxième Gigue. 

Sauf erreur, il n’existait jusqu’à présent qu’une gravure de ces partitions, enregistrées en Italie en 2009 par Gunar Letzbor (Arcana A 354), violoniste autrichien et chef de l’Ars Antiqua Austria ; ce disque diffère de la présente parution en ce qu’il donne les six Suites de l’édition de 1696. La violoniste bulgare Plamena Nikitassova, qui a quitté son pays à l’âge de dix-sept ans et est installée aujourd’hui en Suisse, a travaillé le violon moderne et s’est intéressée de plus en plus au violon baroque. Ici, elle utilise une technique qui est décrite dans des traités allemands du XVIIe siècle. Le violon est placé du côté gauche de la poitrine, et pas sur l’épaule, ce qui nécessite « une tenue de l’archet différente : le bras droit reste bas, le pouce est placé sur les crins et contribue à leur mise en tension ». L’interprète doit adapter le jeu de son Sébastien Klotz en conséquence. Le résultat est splendide : au-delà de l’expressivité que Nikitassova déploie, elle fait preuve de limpidité, de souplesse, d’un art des nuances consommé et surtout d’une capacité, qui semble chez elle souveraine, à se couler dans toutes les inflexions vives en couleurs de ces Suites qui seront pour beaucoup un moment d’enchantement. C’est en septembre 2019, dans la Martinskirche de Müllheim, cité du Land de Bade-Wurtemberg, que l’artiste a gravé ce joyau qui vaut le détour.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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