Conséquences du Covid-19 : de la guerre des pauvres à la deuxième vague
La situation actuelle nous mène à quelques réflexions sur l’aujourd’hui et le demain d’un secteur d’activité particulièrement violenté par la Covid-19.
Guerre des pauvres
Fortement impacté par l’arrêt des activités, le secteur culturel a cherché à se faire entendre des autorités. Malgré son poids, son nombre d’emplois (près de 200.000 personnes en Belgique), les revenus générés directement et indirectement (quand on va au spectacle ou au concert, la soirée peut être précédée d’un repas au restaurant et se conclure sur un verre, autant d’argent injecté dans l’économie), le rayonnement international généré par le secteur de la culture, il est triste de constater qu'il peine toujours autant à être entendu des autorités et de la société dans sa globalité. Les mêmes pouvoirs qui dégainent, le doigt sur la couture, les millions pour sauver des industries déjà en péril ou en voie d’obsolescence accélérée rechignent à aider la culture, secteur toujours perçu comme éternellement quémandeur et systématiquement insatisfait.
Dans la situation actuelle, on comprend le besoin de se faire entendre, ne serait-ce que pour avoir de quoi manger, et l’on sait que certains artistes et prestataires de la culture sont dans une situation des plus délicates. Cependant, le monde de la culture n’a pas parlé d’une seule voix, chaque secteur a cherché à porter sa parole ; sans oublier, à l’intérieur même des domaines, la multiplication des communications qui a conduit à un éclatement dans une sorte de surenchère du plus gros coup de gueule. Le monde de la musique classique n’a pas été épargné : les chanteurs lyriques ont dégainé les premiers, suivis des instrumentistes, et enfin rejoints par d’autres catégories de prestataires comme les attachés de presse. Malgré tout, il faut saluer l’appel du milieu culturel belge à se fédérer et à s’exprimer via ses structures représentatives. Nous l’avons dit depuis le début de l'épidémie : le Covid 19 touche toutes les catégories, artistes ou prestataires, y compris les moins visibles. L’un des risques de la multiplication de ces revendications parcellaires est de déboucher sur une guerre de pauvres pour tenter de récupérer une plus grosse obole publique que le voisin ou jalouser ce même voisin qui aura une plus grosse part du minuscule gâteau. D’autant plus que certaines décisions interpellent ! La mise en place d’une politique publique de commande à destination des artistes de moins de 30 ans, annoncée par le Président de la République française, est une proposition certes louable sur le fond, mais qui divisera encore plus les milieux culturels en ajoutant un très malsain critère d’âge dans un contexte global tristement caractérisé par l’âgisme.
Certes, la culture est un secteur au poids économique majeur, mais revendiquer comme d’autres secteurs, sur un ton parfois très catégoriel, est tout de même bien dommage car, outre les aspects financiers, la culture permet aux populations d’exercer leurs droits culturels, sans oublier tout le bien-être qu’elle génère, certes économiquement peu comptabilisable, mais justement exceptionnel par l’immatériel qu’elle apporte. Il est dommage que, à de rares exceptions, ces droits culturels n’aient pas été mis en avant comme socle fédérateur de l’action.
Le soft power de la reprise des concerts
La période de déconfinement permet d’entrevoir un début de reprise des concerts mais encore sans public. Il est intéressant de constater qu’un soft power de la reprise des activités s’est très rapidement mis en place avec une concurrence effrénée et une forte présence médiatique des institutions qui veulent faire cette course en tête : la boite mail de Crescendo commence à chauffer sous un tsunami de communiqués de presse invitant les internautes à assister aux presque-vrais-concerts-en-ligne. Malheur aux intendants et directeurs qui n’ont pas révisé leurs conventions audiovisuelles, leurs institutions risquent d’être invisibles, même si on sera intéressé d’avoir les vrais chiffres d’audimat de cette offre conséquente qui soulève encore le questionnement de la gratuité.
D’un autre côté, certains pays semblent parvenir à sauver des festivals tout en tentant de changer de paradigme comme le prestigieux festival autrichien de Grafenegg qui proposera une affiche compatible avec les consignes sanitaires autrichiennes mais dont la programmation sera assurée par les orchestres autrichiens, ou les BBC Proms de Londres qui réfléchissent à une offre adaptée basée sur les excellentes et nombreuses phalanges britanniques. Nous trouverons peut-être ici l’une des matérialisations d’une slow culture régionalement centrée qui prendra le pas sur le business international de la musique et le flot des tournées incessantes.
La deuxième vague et la tempête à venir
Mais le pire de cette crise est certainement à venir et cette période de confinement ne sera que le début d’une longue période de tensions. La réouverture des salles de concerts et des opéras n’est en rien assurée pour le début de la prochaine saison et la date de début 2021 est régulièrement citée, en particulier en France. De plus, il n’est pas garanti que le public reviendra rapidement en masse, surtout si le protocole sanitaire rend les salles aussi tristes que les déprimantes images de la reprise du chemin des écoles. Le public des seniors, coeur du réacteur de la consommation culturelle, est pour sa part bien malmené par la communication autour de l’épidémie et par les multiples injonctions à rester confiné chez lui le temps de trouver un fort hypothétique remède miracle… Financièrement plus aisé, disposant de temps et sensible à toutes les pratiques artistiques, il est pourtant la base économique du “marché” de la culture. Les finances des États vont être mises à rude épreuve par le ralentissement économique, tout comme les bénéfices des entreprises.
Moins de recettes alors que les dépenses ont explosé, cela entraînera des choix dans le chef des autorités publiques. Moins de bénéfices, c’est aussi moins d’argent pour le mécénat ou pour le tax shelter en Belgique, système déjà mis à mal par la réforme de l'impôt des sociétés... On vient déjà d’observer que la très riche région française Nouvelle Aquitaine rabote ses aides à l’Opéra de Bordeaux ou au Théâtre-Auditorium de Poitiers. La trahison vient même parfois de l'intérieur même du milieu culturel, comme la Philharmonie de Paris qui, à l’instar d’autres grandes institutions, refuse de payer les coûts des concerts annulés, multipliant par ricochets les difficultés de plus petites structures bien plus fragiles que le mastodonte parisien.
Il n’y a pas de secrets, équilibrer les budgets dans un contexte de baisse des rentrées financières ne sera pas simple et, au-delà des galéjades d'autosatisfaction sur le mode “je réinvente le modèle”, les lendemains vont déchanter. N’oublions pas que l'archi-majorité des budgets des institutions, opéras, orchestres, ensembles ou salles de concerts, est mobilisée par des coûts fixes et que la part dévolue aux projets artistiques est proportionnellement bien faible. N’oublions pas que le public est la raison d’exister des opéras, orchestres, ensembles, choeurs….Le concert classique s’est développé car, justement, il y avait la croissance d’un public. Sans sa présence physique, c’est son ADN qui est sérieusement menacé !
Dans un contexte de baisse des rentrées financières, quelles qu’en soient les origines, la voilure sera réduite dans un cercle vicieux au détriment des professionnels et des publics. Et il faudra sans doute réfléchir au-delà de l’apitoiement ou de l’inquiétude, pour penser la survie de tous au delà de la mobilisation autour de quelques très grosses structures qui captent actuellement une bien grande part médiatique. On peine ainsi à comprendre le concert d’inquiétudes autour de l’Opéra de Paris… Si cette institution séculaire tombe, les autres auront disparus bien avant ! La deuxième vague de conséquences sera certainement terrible et la tempête va faire rage !
Pierre-Jean Tribot
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