Dossier Mendelssohn (IV) : le chambriste méconnu,  trop heureux pour être génial ?

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Mendelssohn Bartholdy. Qu’évoque ce nom ? La Marche Nuptiale, la Symphonie Ecossaise, l’Italienne... Mais, la musique de chambre ? On connaît les Romances sans paroles (parce que le titre est curieux) et puis l’Octuor, le célèbre Octuor dont on oublie qu’il fut composé par un gamin de seize ans. 

Quelle est la place de la musique de chambre dans l’oeuvre de Félix Mendelssohn ?

Dès sa jeunesse, Mendelssohn s’essaie au contrepoint, pas tant à travers les exercices d’écriture classique que dans la contemplation et l’imitation de Jean-Sébastien Bach. Six Préludes et Fugues (op.35) affirment une technique parfaite mais aussi un sens de la musicalité non dénué de dramatisation. Schumann, l’ami et l’admirateur, écrivait dès 1837 : "Ce ne sont pas seulement des fugues travaillées avec la tête et d’après la recette, mais des morceaux de musique tout jaillis de l’esprit et développés suivant le mode poétique". Le Premier Prélude affirme un chant dans le médium, une ligne mélodique pure comme un lied, revenant incessamment. C’est une caractéristique de Mendelssohn ; sa musique chante. Pléonasme si difficile à une époque où le piano devient le laboratoire où se créent les formes nouvelles et les sons déjà insolites.

Il écrit un peu moins de cent morceaux pour le piano. Certains ressemblent à du Hummel, d’autres à du Weber, avec ce brio de salon qui faisait se pâmer les dames et les écrivains. Mais cette littérature importante et assez mal connue propose une unité ; celle d’un style original d’un compositeur extrêmement érudit pour lequel la musique commence quand on a tout avalé, aussi bien la technique musicale que les discours des prédécesseurs. C’est ce qui est le plus frappant chez Mendelssohn : cette espèce d’aboutissement des styles qu’il tente toujours de dépasser. Et il y parvient !

Pourtant, le piano n’est pas l’instrument de prédilection du jeune Mendelssohn. Il reste attiré par la musique de chambre et pour une première publication compose un Quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle en ut mineur (op.1), genre peu exploité alors (Mozart n’en a composé que deux...). Félix est un jeune garçon talentueux à qui tout réussi. Qu’il monte à cheval et le voilà formidable cavalier. Il touche aux pinceaux ? Il réalise de merveilleux croquis qui ont le mérite d’être de qualité autant que de satisfaire l’instinct créateur de leur auteur. Il traduit des vers anciens, qu’ils soient en latin ou en grec. Et connaît la littérature au point d’émerveiller le conseiller Aulique Goethe. Goethe n’avait pas beaucoup aimé que le jeune Schubert lui adressât des lieder sur ses propres textes. D’ailleurs, il n’avait pas répondu. N’appréciait-il pas la jeunesse à sa propre valeur ? Un jeune homme de bonne famille aussi doué ne pouvait que l’interpeller. Et Goethe d’accepter la dédicace du Troisième quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle en si mineur (op.3).

L’éternelle jeunesse

L’Octuor, on en revient toujours à lui. Ni l’Octuor pour vents de Schubert, ni le Double quatuor de Louis Spohr (son ami à qui il dédiera le Trio n°2 en ut mineur op. 66) n’ont cette grâce, avec son andante "de choeurs d’anges aux voix tendres" (selon E. Wolff, biographe), son scherzo injouable et son finale incroyablement difficile. Le langage imagé supplante le discours musical. Toute la musique sert l’imagination et poursuit des rêves. Mendelssohn s’ancre dans l’imaginaire qui, l’année suivante, le pousse au Songe d’une Nuit d’Eté.

On dit souvent que le jeune Félix, ne pouvant se payer le luxe d’un orchestre à cordes, écrivit l’Octuor pour s’essayer à l’orchestration de chambre. Ainsi se justifient certains chefs qui, comme Pinchas Zukerman, dirigent cette oeuvre à travers une petite phalange parce qu’une indication autographe sur le manuscrit précise "selon le style de l’orchestre symphonique". Est-ce que cela signifie une quelconque prétention ? Mendelssohn n’est pas un velléitaire. Ce qui le rend particulièrement sympathique.

L’Octuor reste un mystère de Grâces. Celui de la jeunesse, de l’éternelle jeunesse ; celle qui promet tant parce qu’elle contient tout en elle, celle que décrira Mahler plus tard dans sa Quatrième Symphonie.

L’Octuor promet un autre caractère du compositeur : l’élégance. Là encore il ne décevra pas dans sa musique de chambre. Les deux Trios (respectivement op.49 et op.66) l’attestent. Le premier enthousiasma Schumann qui le plaça au rang d’un trio de Beethoven et de Schubert. L’auteur a à peine trente ans. Écrit six ans plus tard, le Deuxième Trio comporte une partie pour piano si chargée qu’elle effraya Fanny. Qu’à cela ne tienne, Félix la tiendra pour la création au Gewandhaus de Leipzig...

Le brio de cette forme de musique de chambre lui sied. Il a pourtant des limites qu’on peut entendre dans les deux sonates pour violoncelle et piano (respectivement si bémol majeur op.45 et ré majeur op.58). Mendelssohn aimait les cordes. Il était excellent altiste puisqu’il jouait lui-même la partie d’alto à la création de l’Octuor. Il aimait aussi le violoncelle à qui il donne souvent le privilège d’exposer le thème (Trio n°1). Mais quelque chose le freine. Certes, on y entend des élans lyriques et des moments intenses qui chatouillent la sensibilité. Finalement, il y a quelque chose de facile dans ces deux sonates, qui sonne faux devant l’élégance racée du compositeur.

Curieusement, on remarque que les deux pièces ont été composées pour des amateurs : Paul, le frère de Félix, et le Comte Mathieu Wielhorski, un mécène. Ce sont eux en effet qui inspirent Mendelssohn. Lui ont-ils demandé d’écrire pour eux ? En tout cas, il compose des morceaux qui peuvent placer leur interprète au rang des grands musiciens, à travers une virtuosité de circonstance.

Nous les écoutons sévèrement, ces sonates. Mendelssohn ne nous avait pas habitués à ce type de musique. Pourtant, ne faudrait-il pas lire la générosité d’un génie qui permet à deux musiciens amateurs de se placer à un niveau supérieur au leur ? Ce serait là un trait du caractère de Félix Mendelssohn.

Le quatuor à cordes ou le dépassement des styles

Félix Mendelssohn est un érudit. Nous l’avons vu, pour lui la composition commence quand on a tout avalé. Il connaît les styles, il collectionne les partitions, il ressuscite Bach, il lit Brahms, il contemple et analyse Beethoven, en particulier les derniers Quatuors. Il essaie les styles non en les plagiant mais en s’en imprégnant. C’est ainsi que l’op.13 (en la mineur) comporte une veine beethovénienne. Il faut préciser que Mendelssohn en commence l’écriture quand il apprend la mort du génie viennois. Ne commence-t-il pas l’oeuvre par un adagio qui trouve tout de suite son modèle dans l’opus 132 de Beethoven ? Modèle ou réminiscences ? Le Quatuor en mi bémol majeur (op.12) est tout aussi beethovienien bien que dénué de noirceurs et de ténèbres. Nous sommes en 1829. Sept ans plus tard, Mendelssohn se remet au quatuor. Cette fois dans un genre plus chantant, plus classique, empreint de Haydn, il produit les trois quatuors de l’op.44. Il trouve parfois un style plus personnel, lorsqu’il se laisse aller à la poésie, à la rêverie (adagio du Quatuor en mi bémol majeur).

C’est finalement là qu’excelle Mendelssohn, quand la musique s’appuie sur un sens. En cela il n’est pas moderne. La musique aurait, selon lui, à s’appuyer sur un sens existant pour parler davantage : texte religieux, argument de ballet... N’avait-il pas confié à Fanny les pages qui inspirèrent le fameux troisième mouvement de l’Octuor ? Déjà, à cette époque-là... Or le quatuor apparaît dans l’oeuvre de Mendelssohn comme le terrain d’expériences, jusqu’à l’opus 80, sa dernière oeuvre qui l’appelle à se dépasser.

Le 14 mai 1847, alors qu’elle répétait, Fanny Hensel se sent mal. On la monte dans une loge. Elle reprend ses esprits puis tombe inanimée. Quelques instants après, elle était morte. Pour Félix, cette séparation est l’effondrement de toute sa joie, de sa vie. Elle vient à une période d’intense travail et de multiplication des commandes. Félix ne peut plus rien écrire. La musique lui est comme l’appel dérisoire de la soeur aimée. Trois mois plus tard, il part pour la Suisse. C’est là, à Interlaken, qu’il reprend quelques esquisses, et surtout qu’il compose un (Le) Quatuor à cordes en fa mineur (op.80). Oeuvre de la souffrance, de la séparation, qu’on appelle volontiers "Requiem pour Fanny" ; expressions du désespoir, syncopées, qu’entourent un adagio élégiaque où domine le violoncelle, ce quatuor diffère de toute l’oeuvre de Félix Mendelssohn Bartholdy.

Il faut écouter cette oeuvre et vivre avec. Elle constitue l’aboutissement d’un amour, d’un métier, du talent aussi. Mendelssohn n’y a plus besoin d’imiter ni de chercher. On sent qu’il a tout digéré et que la mort de la soeur et l’immense chagrin qui en découle forment l’alibi de la création pour lui permettre de créer enfin. En caricaturant à l’excès (mille pardons...), on a envie de dire que Mendelssohn est un érudit faiseur à qui tout réussit, et que le deuil et la peine lui ouvrent enfin les portes du génie. Hélas, six mois plus tard, il rejoignait Fanny dans la mort. On peut rêver sur l’oeuvre à venir d’un homme qui aurait enfin trouver sa voie, un langage universel qui transcende la simple élégance : la musique.

Article rédigé par Christophe Mory dans le cadre d'un dossier de Crescendo Magazine publié dans ses éditions papiers. Dossier publié sous la coordination de Bernadette Beyne. 

Crédits photographiques : DR

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