Les symphonies polonaises romantiques  de Franciszek Mirecki et Józef Wieniawski

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Franciszek Mirecki (1791-1862) : Symphonie en do mineur. Józef Wieniawski (1837-1912) : Symphonie en ré majeur, op. 49. Orchestre philharmonique Arthur Rubinstein, direction Pawel Przytocki. 2022. Notice en polonais et en anglais. 66.19. Dux 1901.

Le label Dux est une véritable mine d’or pour la connaissance de multiples compositeurs, essentiellement polonais, dont il existe par ailleurs peu ou pas d’enregistrements. C’est encore le cas pour ce double accès à des symphonies romantiques de belle venue, dont la découverte vaut le détour.

Comme souvent chez Dux, la notice est fouillée et érudite : ses cinq pages d’écriture serrée sont signées par un spécialiste, en l’occurrence le musicologue Maciej Negrey (°1953), qui a enseigné à l’Université jagelonne de Cracovie. Le mélomane aura grand intérêt à lire les détails de cette présentation dont nous nous sommes inspirés. Le programme s’ouvre par l’unique symphonie de Franciszek Mirecki, né et mort à Cracovie, dont Negrey dit que l’existence pourrait faire la trame d’un excellent film. Ce futur grand voyageur, issu d’une famille bourgeoise qui comprend beaucoup de musiciens, joue du piano en public dès ses neuf ans et est soprano dans le chœur de la Basilique Sainte-Marie. En échange de leçons, un ami va lui donner des cours de français. S’il étudie le grec et le latin, puis la philologie, on le retrouve vite à Vienne où il étudie dès 1814 auprès de Hummel et de Salieri. A la demande de Beethoven, il fournit à ce dernier des airs populaires polonais. En 1817, c’est Venise qu’il découvre, puis Milan, où il se lie d’amitié avec l’éditeur de musique Giovanni Ricordi. Celui-ci l’envoie à Paris où, avec l’appui de Cherubini, il se fait connaître par des publications (des psaumes de Benedetto Marcello) et écrit trois œuvres lyriques, aujourd’hui perdues. De retour en Italie, il compose et dirige des opéras à Gênes. On le suit encore à Lisbonne où il est responsable de la section lyrique italienne, puis dans diverses villes européennes. Il s’établit définitivement à Cracovie en 1838, y fonde une école privée très appréciée, et est pendant quelques années directeur de l’opéra. Le catalogue de Mirecki comprend plusieurs œuvres lyriques, des pièces pour le piano et son unique symphonie.

L’auteur de la notice précise que cette symphonie de 1855, dont le manuscrit était conservé à l’Université de Poznan, a été retrouvée en 1972 et publiée avec l’indication « sans grande valeur ». Maciej Negrey est d’un avis contraire, opinion partagée avec le chef d’orchestre Pawel Przytocki qui en a donné la première exécution publique à Varsovie en janvier 2010, à la tête de l’Orchestre de la Radio polonaise. Depuis lors, le même chef l’a donnée plusieurs fois en concert avant la présente gravure de juin 2022. Sans crier au génie, nous suivons le musicologue dans son appréciation positive lorsqu’il met l’accent sur le fait que Mirecki, habitué à écrire des opéras, persiste dans un style lyrique, tout en assurant à sa symphonie un espace large, aux importantes proportions, avec un matériau instrumental solide, de la densité, de l’émotion et de la passion. L’écoute de cette partition d’un peu moins de 35 minutes est en tout cas des plus agréables et démontre un sens très sûr de la diversification instrumentale. L’Allegro vivace con brio initial est bien rythmé, avec des passages où perce une certaine angoisse, mais aussi de l’énergie et une vraie tension. Après un Adagio non tanto, que l’on peut assimiler à de la musique de ballet, un Vivo assai est la stylisation d’une danse populaire nationale dont Mirecki, issu d’un milieu bourgeois peu attiré par la musique folklorique, a cependant pu traduire l’essence. La symphonie se conclut par un Vicace molto, où, au sein d’une orchestration ensoleillée, le hautbois apporte sa tonalité particulière. Au-delà de ce témoignage discographique, à considérer comme une première, il existe une archive non datée d’un concert de la radio polonaise.

Józef Wieniawski est mieux connu que Mirecki pour deux raisons : il est de deux ans le frère cadet du célèbre violoniste Henryk Wieniawski, né en 1835, et il est décédé à Bruxelles où il a résidé les trente dernières années de sa vie, se forgeant une solide réputation d’interprète du piano et donnant des cours à la haute société. Sa fille a légué ses archives au Conservatoire de la capitale belge. Quelque peu tombé dans l’oubli de nos jours, dans l’ombre de son aîné virtuose, Józef Wieniawski mérite mieux que ce traitement limité. Il a laissé un catalogue de musique pour orchestre, de chambre ou pour piano seul dont on trouve des traces notamment chez Hyperion ou chez Acte Préalable. Sa symphonie a été publiée en 1890 à Bruxelles, chez Schott ; la notice précise qu’on ne sait rien d’une éventuelle exécution publique. L’œuvre se situe bien dans la période où elle a été écrite, dans une atmosphère proche de Franck ou de Chausson, avec une inspiration romantique riche en évocations poétiques, des élans orchestraux et une grandeur dans l’avancée. Dans l’Allegro con spirito initial, une place prépondérante est accordée aux cordes, avec un solo d’alto bienvenu en cours de développement. L’Andante molto cantabile respire de façon mélodieuse, se souvenant de Mendelssohn, avec un investissement concret des violons et des violoncelles. Le troisième mouvement (Scherzo. Presto) bénéficie de belles couleurs, notamment celles du cor français, et de rythmes bien balancés. Quant au final (Allegro energico e resoluto), animé par les bassons, les clarinettes et les hautbois, il s’achève de manière triomphante. Il existe une autre gravure de cette partition, chez Acte Préalable, jouée en 2014 par l’Orchestre Symphonique Artur Malawski de Rzeszów, dirigé par Piotr Wajrak. 

Ce couplage de deux symphonies polonaises méconnues plaira aux amateurs de raretés. Il bénéficie de l’engagement de l’Orchestre Artur Rubinstein de Lódz, mené avec fougue par Pawel Przytocki son directeur musical depuis la saison 2017-18. 

Son : 8,5  Notice : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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