Lettres intimes Plamena Mangova, une magicienne du piano

par

Robert Schumann (1810-1856)  : 3 Fantasiestucke, Op. 111 ; Gesänge Der Frühe, Op. 133: V.   Myrthen, Op. 25: I. Widmung (arrangement pour piano de Clara Wieck).   Clara Wieck / Schumann (1819-1896)  : 3 Romanzen, Op. 21. Johannes Brahms (1833-1897)  : Albumblatt, Op. Posthume. Sonate pour piano n°3 en Fa mineur, Op. 5 : Intermezzo, Op. 118, VI . Plamena Mangova, piano. Livret en français Mirare  MIR570

Je me demande si Mangova a fait des recherches sur l'enseignement fécond de Clara Schumann à travers des enregistrements que plusieurs de ses élèves comme Adelina de Lara, Fanny Davies ou Carl Friedberg ont laissé et qu'on trouve aisément sur internet. Ou si son style interprétatif se rapproche par sa merveilleuse intuition de l'indéniable empreinte que Clara laissa sur ses élèves : un son lumineux et transparent, une probité musicale à toute épreuve et une absence absolue d'afféterie ou d'effets pour la galerie. Ce qui est clair, c'est que cet enregistrement est un pur moment de magie et de bonheur. Elle nous tient en haleine dès la première note jusqu'au bout. Et pourtant, son jeu est pudique bien que chaleureux, retenu, même si la virtuosité est luxuriante, et tend à l'introspection bien plus qu'à l'éblouissement. Et c'est là tout le propos de son programme : nous rappeler l'incroyable fécondité des rapports et des influences réciproques parmi ces trois génies de la musique du XIXe siècle à travers une relation humaine étroite et durable. L'anecdote quant à la nature plus ou moins érotique des rapports entre Clara et Johannes est vraiment hors de propos lorsqu'on réalise à quel point leurs univers personnels se sont enrichis par leur amitié. Pourtant... tellement d'encre a coulé avec ce prétexte !

Les trois Fantasiestücke op 111, rappelant, en guise d'hommage, la tonalité et l'atmosphère de la 32e sonate de Beethoven avec le même numéro d'opus sont bien moins connues que son homonyme de l'op.12, même si elles faisaient partie du répertoire de Horowitz. Mangova ne nous le fait pas regretter : son jeu est absolument créatif et son cantabile dans la deuxième, « Ziemlich langsam » nous ferait oublier que le piano se joue avec un clavier et non pas un archet, tellement elle conduit bien le son. Les trois Romances op. 21 de Clara font preuve du talent de la compositrice dont on pourrait regretter qu'elle n'ait été plus prolifique et qu'elle ne soit plus souvent jouée. Mais si l'on tient compte de son activité de concertiste, de ses maternités successives, des soins et responsabilités qu'elle assuma envers Robert, malade, ou de ses 25 ans d'enseignement à Franckfort et de l'édition intégrale extrêmement soignée qu'elle consacra a son mari, nous pouvons sourire lorsqu'on parle aujourd'hui des difficultés de conciliation entre la vie domestique et professionnelle...  L'Albumblatt de Brahms est une pièce de jeunesse, à peine connue, que l'auteur sauva pour des raisons obscures. Elle fut écrite quelque peu avant sa rencontre avec les Schumann. La Sonate en Fa, op 5, par contre, est très fréquente dans les programmes. Mangova conduit ses phrasés avec un sens de la construction et de l'équilibre parmi les éléments dionysiaques ou apolliniens (les fameux Florestan et Eusebius schumaniens...) qui rendent cette interprétation absolument indispensable à quiconque s'intéresse à l'oeuvre de Brahms. Je cherche dans ma mémoire d'autres interprétations marquantes (Clifford Curzon, Radu Lupu, Julius Katchen) sans retrouver les émotions que Mangova nous procure ici. Son Adagio espressivo est tout simplement prodigieux !

Les Gesänge der Frühe (Chants de l'aube) semblent préfigurer l'effondrement mental de Robert. Il paraît qu'il avait déjà des sérieuses difficultés de concentration et Clara considérait ces pièces comme les plus énigmatiques qu'il n'ait jamais écrites. Mangova ne joue ici que la dernière des cinq pièces, avant la transcription du Lied « Widmung » (Dédicace), à mettre en rapport avec la mémoire du merveilleux Dmitri Bashkirov qui fut le maître de Plamena à Madrid et qui disparut peu de temps avant la publication de cet enregistrement et auquel Mangova a voulu dédier le CD. L'Intermezzo en Mi bémol op 118 nº 6 clôt ce récital avec un indicible moment d'extase capable de donner des frissons au plus indifférent des auditeurs.

Il faut aussi saluer l'excellente idée de l'éditeur de communiquer le nom du preneur de son (Bastien Gilson) mais également du technicien (Guillaume Vaudelle, de la manufacture de pianos Maene) qui a magnifiquement préparé un Steinway qui fait honneur à la résonance limpide du Studio 4 de Flagey à Bruxelles, cet icône architectural que Joseph Diongre conçut comme un temple pour la musique.

Son  : 10 Livret :  10 Répertoire :  10 Interprétation :  10

Xavier Rivera

 

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