Lumière et ombres, nuages et vent : la musique instrumentale de Kaija Saariaho
Kaija SAARIAHO (*1952) – Oeuvres pour violon : Tocar, Cloud Trio, Light and Matter, Aure, Graal Théâtre. Jennifer Koh (violon), Hsin-Yun Huang (alto), Wilhelmina Smith (violoncelle), Anssi Karttunen (violoncelle), Nicolas Hodges (piano), Conner Gray Covington (direction), Curtis 20/21 Ensemble – 68’06 – Texte de présentation en anglais, CDR 90000 183
En une trentaine d’années, Kaija Saariaho a déjà intégré de son vivant le panthéon des plus grands compositeurs contemporains. Très fortement influencées par le Spectralisme et ses recherches sonores autour des harmoniques naturelles des instruments, les pièces de cette Finlandaise font le tour du monde, des plus réputés des festivals parisiens aux grandes salles d’opéra (Salzbourg, New York). Sa musique oscille entre le son pur et le bruit, entre notes réelles et harmoniques et, entre ces extrêmes, des moments de grande beauté se révèlent à l’auditeur -une note « blanche » peut être transformée en une multitude de notes « colorées », comme un faisceau de lumière réfracté par un prisme. Bien qu’à déconseiller à ceux qui ne raffolent pas de l’atonalisme, ce disque ravira certainement les fans de la compositrice ainsi que les adeptes de musique contemporaine voulant élargir leurs horizons.
Cinq pièces différentes pour cinq configurations instrumentales distinctes ; on assiste à la concrétisation discographique de l’amitié qui lie une formidable interprète engagée en faveur de la musique contemporaine avec Kaija Saariaho. Pour son 12e enregistrement pour le label américain Cedille, la violoniste Jennifer Koh s’entoure d’une équipe d’instrumentistes tout aussi exceptionnels pour les diverses œuvres pour violon de son amie de longue date.
Tocar, écrit en 2010 pour violon et piano, est une exploration de l’aspect espiègle et tactile du mot-titre (en espagnol, « Tocar » signifie à la fois toucher et jouer d’un instrument). Cloud Trio, pour trio à cordes, écrit l’année précédente, évoque des nuages qu’elle aurait aperçus dans les Alpes françaises. On est saisi par son troisième mouvement, Sempre Energico, et son caractère rythmique obstiné -une rareté parmi les nappes sonores mouvantes qui caractérisent sa musique. La plus récente des œuvres présentées (2014) a également droit à son premier enregistrement mondial : Light and Matter pour violon, violoncelle et piano, est basé sur l’influence des changements de luminosité sur le paysage d’un parc new yorkais. De l’aube à l’aurore, de l’automne au printemps, les couleurs se transforment, les ombres glissent… Après Aure, une courte page nettement plus mélodique pour violon et violoncelle librement inspirée par la Mémoire des ombres d’Henri Dutilleux, le CD se termine avec l’unique concerto pour violon et orchestre de Kaija Saariaho, Graal Théâtre. La plus ancienne œuvre présentée (1994) est également la plus aride, intransigeante, intellectuelle, et conséquente. En deux mouvements, Delicato et Impetuoso, pour un total de 27 minutes, l’œuvre ne retient pas autant notre attention que les précédentes et ne présente malheureusement pas la même inventivité ni la même qualité d’orchestration que ses autres œuvres orchestrales.
Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP