Maija Einfelde, une voix singulière de Lettonie

par

cantilène »Maija Einfelde (née en 1939) : Sonates pour violon et piano n° 1, 2 et 3.  Sonate pour violon seul. Magdalēna Geka, violon et Iveta Cālīte, piano. 2021. Textes de présentation en anglais et letton. 50’32. LMIC /SKANI 129

Force est d’avouer que nous ne savons guère de choses de la création musicale de la Lettonie contemporaine, à l’exception bien sûr de la figure de premier plan qu’est Pēteris Vasks (né en 1946)  et, dans une moindre mesure, Ēriks Esenvalds (1977) dont la musique vocale est largement exécutée en dehors de son pays. 

Et voici que nous arrive, à l’initiative de l’éditeur LMIC (Latvian Music Information Center)/SKANI dont la mission est de se consacrer à mieux faire connaître la musique lettonne, un enregistrement qui nous révèle une compositrice longtemps méconnue dans son pays et -ce n’est pas lui faire injure- très peu connue ailleurs.

À en croire la notice qui accompagne la présente publication, la carrière de compositrice de Maija Einfelde ne s’est pas déroulée sans encombres et le succès ne lui est venu qu’à partir des années 1980 dans son pays natal. Il faut ajouter qu’elle a remporté le Concours Barlow aux Etats-Unis en 1997 pour son Psaume 15 pour choeur mixte. La musique pour choeur et la musique de chambre sont en effet ses deux domaines de prédilection.

La Première sonate pour violon et piano fut composée 1980. Ecrite en quatre mouvements, elle s’ouvre sur un Recitativo sombre, où -comme dans les Sonates de Bartók pour ces deux instruments- on a l’impression que chaque instrument joue une partie totalement indépendante de celle de son partenaire. Après un Allegro risoluto comportant une partie de piano énergique qui rappelle beaucoup Bartók (compositeur pour qui Einfelde ne cache pas son admiration), le troisième mouvement Mesto donne à entendre une belle cantilène au violon alors que le piano se contente de quelques accords, Einfelde optant ici pour un discours minimaliste qui frappe par une simplicité qui n’est rien une indigence. L’oeuvre se termine sur un Allegro molto animé et d’une belle franchise.

La Deuxième sonate (1985) s’ouvre sur un Moderato entamé avec beaucoup d’énergie pour déboucher ensuite sur des plages d’un lyrisme bienvenu quoique teinté de mélancolie. Le ton est invariablement digne et grave. Le deuxième mouvement est un inattendu Menuet d’une belle douceur. Le Finale (Agitato - Allegro molto) fait d’abord entendre un soliloque au piano avant l’entrée du violon en longues notes tenues. 

Ecrite en 1990, la Troisième sonate ne compte que deux mouvements. Dans le premier, dont la compositrice demande qu’il soit joué « le plus lentement possible », on retrouve un caractère statique et méditatif qu’on pourrait rattacher au minimalisme balte. Sur les accords du piano, le violon tisse une hypnotique cantilène en valeurs longues. On admire ici la façon dont les interprètes maintiennent sans faillir la tension, et en particulier la sûreté d’archet et le savant dosage du vibrato de Magdalēna Geka. Empreint de tendresse, le deuxième mouvement -un serein Adagio- se caractérise par une belle cantilène dont le lyrisme évoque beaucoup Prokofiev.

L’enregistrement se termine par une Sonate pour violon seul de belle facture. Composée en 1997, l’oeuvre est de qualité. Marqué d’abord par un beau lyrisme, l’Adagio initial gagne ensuite en énergie (Bartók nest pas loin) mais présente aussi par moments une petite pointe d’acidité à la Chostakovitch. Il est suivi d’un Allegro volontaire et animé qui se souvient clairement de la Motorik d’un Hindemith. Le final, Mesto, est d’abord plus déclamatoire et ouvertement émotionnel avec quelques belles recherches de couleurs. La violoniste est fort sollicitée sur le plan technique (harmoniques, pizzicatos main gauche). Après quelques moments méditatifs, l’oeuvre s’arrête de façon abrupte et sans préparation aucune, comme s’il n’y avait plus rien à dire.

Les deux jeunes et talentueuses interprètes lettonnes défendent la musique de leur compatriote avec une conviction et un engagement de tous les instants. Qui plus est, elles sont servies par une prise de son de démonstration dans un enregistrement chaudement recommandé à tous les mélomanes curieux.

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 8 - Interprétation 9

Patrice Lieberman

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