Mariam Batsashvili face à Liszt et autres romantiques : du piano de haut niveau !

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Romantic Piano Masters. César Franck (1822-1890) : Prélude, Fugue et Variations op. 18, transcription de Harold Bauer. Sigismond Thalberg (1812-1871) : Grand caprice sur des motifs de La Sonnambula de Bellini op. 66. Franz Liszt (1811-1886) : Mort d’Isolde S. 447, d’après Wagner ; Die Loreley S. 532 ; Ständchen S.560/7a et Aufenthalt S. 560/3, d’après Schubert ; Valse de l’opéra Faust S. 407, d’après Gounod ; Valse de bravoure S.214/1. Frédéric Chopin (1810-1849) : Valse n° 5 op. 42. Franz Schubert (1797-1828) – (attribué à) : «Kupelwieser-Walzer» : valse en fa bémol D. Anh. 1/14, transcription de Richard Strauss. Mariam Batsashvili, piano. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. 69.53. Warner 0190296290619.

« Fascinante Mariam Batsashvili », écrivait Yvan Beuvard dans les colonnes de Crescendo, le 13 janvier 2020, après avoir assisté à un concert de la pianiste géorgienne à Dijon deux jours auparavant. Née à Tbilissi en 1993, où elle entame sa formation, la jeune femme rejoint ensuite l’enseignement du Russo-allemand Grigory Gruzman (°1956) à la Hochschule für Musik Franz Liszt de Weimar. Elle remporte, dans cette cité, le Concours international Franz Liszt pour jeunes pianistes en 2011. Trois ans plus tard, elle est la première femme à gagner le 10e Concours Liszt à Utrecht. Comme on peut le constater, le nom du Hongrois est régulièrement présent lorsqu’il s’agit de Mariam Batsashvili. 

C’est encore le cas lorsqu’elle publie son premier album en 2019 (Warner). Au programme, Bénédiction de Dieu dans la solitude et les Consolations, l’affiche étant complétée par deux Etudes de Chopin. Pour son second album, Liszt est à nouveau au rendez-vous (pendant une quarantaine de minutes), avec d’autres compositeurs venant enrichir un choix qui combine des transcriptions d’airs ou de scènes d’opéras et de lieder, ainsi que des valses. La notice précise qu’il s’agit d’un programme qui présente avant tout le piano comme un instrument de la voix chantée. On lira ce texte qui contient une éclairante conversation entre la virtuose et Jon Tolanski, réalisateur de documentaires sur les compositeurs et les interprètes. 

Avant le présent enregistrement effectué à Berlin en mars 2021, Mariam Batsashvili avait inscrit, lors de ses prestations en public, notamment à Liège en octobre 2020, des pages de Franck, Thalberg et Liszt ici programmées. Avant d’aborder son compositeur de prédilection, au cœur de ce second album, on découvre le Prélude, Fugue et Variations de Franck, dans la transcription de Harold Bauer (1873-1951), qui fut notamment un élève de Paderewski. En trois mouvements enchaînés, cette page d’un peu plus de dix minutes, dédiée à Saint-Saëns et destinée par le compositeur liégeois à l’orgue, conserve l’esprit de l’instrument majestueux à travers le travail de Bauer. Mariam Batsashvili confie : Quand je joue cette pièce, j’ai parfois presque l’impression de me trouver dans une église, avec des gens qui prient. Elle insuffle à sa version ce caractère privé et spirituel, voire intimiste. On souscrit sans hésiter à ce qu’elle y voit : de la tristesse, de l’espoir et le sentiment de faire la paix avec l’existence. Il y a ici une profondeur et une dimension intérieure qui s’imposent à travers une force maîtrisée.

Cette très belle introduction est suivie du Grand Caprice sur des motifs de La Sonnambula de Bellini, composé par Thalberg en 1842, cinq ans après le célèbre duel pianistique qui l’avait opposé à Liszt dans un salon parisien. Mariam Batsashvili, dont la technique éblouissante et la puissance sonore trouvent ici un terrain propice à ses capacités, ne pêche pas par un excès de démonstration, qui peut se révéler gratuite sous d’autres doigts, mais traduit avec justesse aspect dramatique et virtuosité. Elle crée un univers vocal d’une élégante légèreté dans les traits, ce qui ne l’empêche pas de terminer en apothéose les douze minutes de cette partition qui, par la subtilité que l’interprète y distille, prend des titres de noblesse.

Si la Valse op. 42 de Chopin de 1840 est exprimée dans un discours juvénile empreint d’une poésie qui s’épanche, c’est bien Liszt qui est le centre de ce récital. Mariam Batsashvili étale avec lui une complicité aussi évidente que dans son premier album pour Warner. La transcription de la Mort d’Isolde de Wagner est un moment d’intense émotion, l’artiste considérant cette page comme une expérience au-delà des sentiments terrestres, au sein de laquelle la mort comme fin tragique mais également comme salut est sans cesse présente. Chez cette jeune pianiste, qui aura trente ans dans moins de six mois, existe une fibre fervente qui lui permet de ressentir au plus profond d’elle-même ce que les notes suggèrent et qu’elle nous transmet avec une absolue sincérité. Cela se vérifie dans une mystérieuse et magique Loreley où la mort est une séductrice, ainsi que dans l’approche schubertienne de Ständchen, aveu d’amour vibrant et dépouillé, ou dans Auftenhalt, repos pour les tourments de la douleur dans la forêt. Ces échos de lieder sont vraiment poignants. 

Mais Mariam Batsashvili sait aussi laisser sa joie éclater à travers des valses. Celle dont Liszt trouve l’inspiration chez Gounod et son Faust est riche en fantasmes sulfureux auxquels la virtuose apporte ce qu’elle appelle si justement une atmosphère d’extase déréglée. Quelle richesse de nuances, quelle expressivité ! Celle-ci se prolonge dans la Valse de bravoure de 1836, débordante d’ivresse et enrichie d’un irrésistible panache. La brève valse attribuée à Schubert et transcrite par Richard Strauss, porte le nom du directeur de théâtre, Josef Kupelwieser (1791-1866), le librettiste de Fierrabras. Elle conclut ce programme à la manière d’un joli sourire, comme un au revoir de l’artiste que nous espérons être de brève durée. Car voici un remarquable récital qui met en pleine lumière la superbe technique d’une grande interprète, sa maturité lumineuse et sa sensibilité profonde. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

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