Midsummer Festival à Hardelot : Convivialité et diversité
L’esprit de l’entente cordiale irrigue le théâtre élisabéthain d’Hardelot tout en bois, en face du château que le Londonien Henry Guy (alias Guy d’Hardelot) avait fait ériger dans un style que l’on qualifie aujourd’hui de kitch, mais pas pour autant à son époque, au XIXe siècle. Ce mélange de styles, comme symbole d’ouverture, est perceptible à la programmation du Midsummer Festival, entre la musique « savante » et « sérieuse » et celle plus légère.
Christophe Dumaux en majesté
Au cours du concert intitulé « Chevalier et enchanteresse », avec des extraits d’opéras de Haendel, de Vivaldi et de Porpora, la musicalité et la vocalité surprenante du contre-ténor Christophe Dumaux a largement marqué l’esprit des spectateurs. Son timbre unique, légèrement argenté le distingue immédiatement par l’étrangeté de sa couleur, mais on prend vite le plaisir d’entendre cette voix extrêmement agile. Dans « Tu spietata non farai » d’Iphigenia in Aulide de Porpora, l’enchaînement entre les voix de poitrine et de tête, pourtant de nature et de teinte très différentes, est si bien rendu qu’aucune rupture n’est marquée. Sa voix s’envole ensuite dans les aigus avec une puissance impressionnante, dans une virtuosité spectaculaire. Il chante avec une aisance confondante, comme si la partition était écrite pour lui ! Aux côtés d’un artiste qui exerce son art avec autant de liberté, n’importe quel(le) chanteur(se) aura des difficultés à l’égaler. La jeune cantatrice Lauranne Oliva — premier prix des Voix Nouvelles 2023 et la révélation lyrique aux Victoires de la Musique classique 2024 — a malgré tout bien défendu son chant. Ses phrasés un peu tendus au début gagnent en souplesse à la fin de la soirée, notamment dans le duo « Caro, Bella » (Giulio Cesar) de Haendel. Dans le concerto pour violon RV 275 de Vivaldi, Thibault Noally joue la partie soliste avec son ensemble Les Accents, avec un beau contraste entre les mouvements, grâce à sa sonorité à la fois boisée et brillante. Son interprétation n’est pas explosive même dans des moments les plus « rock’n’roll » du compositeur vénitien, mais son archet racé vient doter la musique d’une grande noblesse.
Pièces inédites de Marin Marais
Marin Marais est aujourd’hui connu pour ses pièces de viole, mais on connaît très peu de pièces de sa main pour d’autres instruments. Tel est le cas pour la flûte. Enfin, jusqu’à l’année dernière. Un flûtiste et collectionneur américain acquiert un manuscrit du début du XVIIIe siècle qui s’avère contenir des pièces inédites pour flûte et basse continue du violiste du roi, explique François Lazarevitch au début du concert. Encore en chantier, le programme quelque peu modifié montre l’inventivité du compositeur dans la diversification de styles et de thèmes. Mais l’inventivité vient aussi des musiciens capables de puiser dans leur riche connaissance pour une belle réalisation, au service d’un répertoire inédit. Une alchimie ainsi opérée montre des visages inattendus de la musique de Marin Marais, dont l’image mélancolique est plus que nécessairement imposée par le film Tous les matins du monde — même si immense est sa contribution pour le goût et la diffusion de la musique baroque. La combinaison entre la flûte, la musette, l’archiluth et la guitare (Éric Belloque) donne une infinie variété de sons et de caractères, soutenue et renforcée par la présence de la viole de gambe sensible et profondément musicale de Lucile Boulanger. Le tout offre des voix diversement humaines comme s’intitule ce concert : « Voix humaines ».
God Save the King
Ces mots qu’on ne peut plus britanniques évoquent bien sûr le roi d’Angleterre, en l’occurrence Charles III, dont le couronnement fut célébré tout récemment. Pour les musiciens du Concert spirituel et Hervé Niquet, cela rappelle une expérience inouïe : le concert qu’ils ont donné à Londres était le premier auquel le nouveau roi a assisté depuis son couronnement ! Avec Te Deum et Coronation Anthems, l’atmosphère est solennelle et festive, mais l’intimité du théâtre élisabéthain laisse sur sa faim. Probablement parce que nous sommes plus habitués à entendre ces musiques dans la résonance plus conséquente d’une cathédrale, les détails mis à nus donnent toute autre impression que la grandeur anglaise d’Haendel. De surcroit très curieusement, ce cadre rend les nuances entre piano et forte assez uniforme, tout comme le timbre de l’ensemble. Le chœur est souvent hétérogène ; si cela donne du panache pour certains moments d’exubérance, pour des parties intériorisées, plus d’unité vocale serait la bienvenue. Pour le bis, le chef annonce « la musique française composée par Lully » : God save the King. L’attribution de l’air à Lully est loin d’être certaine, mais peu importe ! Il incarne l’amitié franco-britannique d’Hardelot et c’est ce qui compte le plus.
Chanteur de charme selon Romain Dayez
Le baryton Romain Dayez, excellent dans des opéras dits légers (mais pas seulement), se transforme en un chanteur « du genre ». Habillé en manteau-peignoire bleu ciel aux motifs de coquelicots, le micro à la main, c’est tout un art de chanson frivole qu’il déploie. Entre deux numéros, quelques mots adressés aux spectateurs comme dans un music-hall, créent une véritable convivialité. Il adapte sa voix et sa manière de projeter, d’habitude lyrique, à la sonorisation (la contrebasse de Guillaume Girma et le piano droit de Cyrille Lehn sont également sonorisés) ; on y découvre une autre facette de ce chanteur multi-talent qu’on attend également — et avec impatience ! — d’entendre dans des rôles plus « sérieux », par exemple Don Giovanni ou Pelléas. Quoi qu’il en soit, un bien bon moment souriant conclut ce festival détendu à taille humaine.
Concerts des 28 et 29 juin 2024.
Victoria Okada
Photos © CD62