Musique symphonique de deux classiques américains : Dawson et Kay

par

William Levi DAWSON (1899-1990) : Negro Folk Symphony. Ulysses Simpson KAY (1917-1995) : Fantasy Variations ; Umbrian Scene. Orchestre Symphonique ORF de la Radio de Vienne, direction Arthur Fagen. 2020. Livret en anglais. 64.42. Naxos 8. 559870.

A la tête de l’Orchestre de Philadelphie, le 14 novembre 1934, Leopold Stokowski dirige la création de la Negro Folk Symphony de William Levi Dawson. Sous la baguette du maître, l’œuvre est programmée à trois reprises dans les six jours qui viennent, notamment au Carnegie Hall. Il y aura aussi une diffusion sur les antennes de la radio de la CBS. C’est une consécration pour le jeune compositeur afro-américain né à Anniston, dans l’Alabama. Dawson effectue ses études musicales à l’Institut Tuskegee, dans la ville du même nom, un établissement fondé en 1881 pour permettre aux Afroaméricains d’y apprendre leur art. Dawson se perfectionne à Kansas City, avec Carl Bush, compositeur d’origine danoise, puis au Conservatoire de Chicago. Il joue du trombone dans une formation de cette dernière cité, puis dirige le Tuskegee Choir. La carrière de Dawson se limitera à l’éducation musicale, à des partitions chorales et à des arrangements. La Negro Foilk Symphony, bien accueillie lors de sa création, va hélas vitre rentrer dans le rang, jusqu’à ce que Dawson se décide à la réviser en 1952, après un voyage entrepris dans sept pays de l’Afrique de l’Ouest qui l’incite à y inclure des rythmes directement inspirés de ses nouvelles découvertes. La partition est publiée en 1963 et Leopold Stokowski l’enregistre avec l’American Symphony Orchestra pour Decca (gravures en CD chez MCA Classics ou DG indisponibles, semble-t-il). L’éclectique Neeme Järvi en proposera une nouvelle version chez Chandos en 1993 avec le Symphonique de Detroit. Voici un troisième enregistrement, sous label Naxos dans sa série « American Classics ». 

De style postromantique, l’œuvre est en trois mouvements de forme sonate. Le premier, The Bond of Africa, évoque le souvenir des premiers Africains réduits en esclavage. Il débute par une introduction lente, soulignée par un cor nostalgique, instrument très présent dans l’orchestration, thème bientôt repris par le cor anglais. Un second thème apparaît, amené par le hautbois, basé sur un negro spiritual Oh, My Littl’ Sound Gwine-a-Shine. Dans cette page, Dawson imagine une sorte d’idée fixe de caractère sombre que la notice décrit comme « a missing link », ce lien « arraché » lorsque l’esclavage est devenu réalité, idée fixe qui apparaît d’emblée et revient dans le développement auquel le compositeur ajoute des rappels rythmiques d’une danse Juba, importée par les esclaves du Royaume du Congo vers les plantations de la Caroline du Sud. Le second mouvement, Hope in the Night, tend à mettre l’accent sur la vie du peuple noir et son esclavage de deux siècles et demi. Il s’ouvre par trois appels de gong mystérieux que Dawson lui-même qualifia de « Trinité » qui fixe le destin des hommes. Suivent un Andante vitalisé par un Allegretto et un Scherzo. Le cor anglais est à nouveau présent, le thème du « lien manquant » refait surface. Bientôt, une transition confiée aux cordes et aux bois va symboliser le désespoir des enfants sans avenir, avant que tout l’orchestre se déploie, du pianissimo au fortissimo, la ponctuation conclusive étant réservée à un battement de tambour résigné. Le mouvement final, intitulé 0, Le’ Me Shine, Shine Like a Morning Star ! (titre d’un negro spiritual), très vivace, ressemble à un message d’espoir, un autre negro spiritual, Hallelujah, Lord, I Been Down Into the Sea servant aussi d’inspiration. Ici, tout est tension, jusqu’à une coda imposante scandée par les timbales. Voilà une bien intéressante partition, au sujet de laquelle on peut se demander si les accents dramatiques, dansants ou lyriques ne proposent pas un message politique derrière les notes. La présentation signée Frank K. DeWald, à laquelle nous avons emprunté des précisions quant à la structure musicale, n'en dit mot et la personnalité même de Dawson ne prêche pas pour cette possibilité. On ne peut cependant s’empêcher, en découvrant le programme, d’y voir au moins une intention morale, sinon philosophique. 

Ce CD est complété par deux partitions d’Ulysses Simpson Kay qui fait partie de cette génération de ces années 1910 qui fut celle, aux Etats-Unis, de Samuel Barber, William Schuman, Alan Hovhaness, Morton Gould ou Leonard Bernstein. Ulysses Kay naît dans la deuxième partie de cette décennie, en 1917. Originaire de Tucson (Arizona), il a été notamment l’élève de Howard Hanson à Rochester avant de travailler pendant un an (1941-42) avec Paul Hindemith à Tanglewood. Il accomplit une carrière d’enseignant (vingt ans à New York) et, contrairement à Dawson qui n’a laissé qu’un nombre limité de partitions, s’est illustré dans plusieurs domaines : musique pour orchestre, vocale, instrumentale ou de chambre, ainsi que cinq opéras. En 1963, le chef Arthur Bennett Lipkin lui commande une partition pour l’Orchestre Symphonique de Portland, des Fantasy Variations qui ont la caractéristique d’être « à la recherche d’un thème » puisque le thème fondamental n’apparaît qu’après l’introduction et treize variations. Le cor introduit cette page de près de dix-huit minutes avec une cellule de quatre notes sur le mode phrygien qui ne forme pas le thème de base mais va se transformer et s’adapter tout au long de l’œuvre avec des variations rythmiques pleines d’expressivité, parfois spectaculaire. On y retrouve des échos de l’enseignement de Hindemith, Kay oscillant entre un langage néoclassique et des couleurs orchestrales teintées de dissonance. Lorsque le thème final apparaît enfin, aux cuivres puis aux cordes, la cellule initiale de quatre notes est présente, indiquant son importance dans le contexte de cette partition dynamique et contrastée. 

A la fin des années 1940, Ulysses Simpson Kay fait un long séjour en Italie dans le cadre de l’attribution du Prix de Rome américain. Il ramène de la campagne ombrienne et des cités historiques d’Arezzo, Assise et Narni des souvenirs éblouissants. Il les traduit, toujours en 1963, dans une Umbrian Scene à l’orchestration fignolée qui évoque son émerveillement lors de la découverte des collines, des vallées ou des trésors artistiques de l’Ombrie. Une œuvre pleine de soleil et de bruissements…

Ce programme Dawson/Kay est mené avec enthousiasme par l’Orchestre ORF de la Radio de Vienne dans un enregistrement de janvier 2019. Son chef Arthur Fagen, que l’on retrouve dans plusieurs programmes Naxos dont des partitions de Martinu, dirige le tout avec un beau sens du dosage des rythmes et des intentions musicales. On regrette bien sûr l’absence, que l’on espère temporaire, de la version de la Negro Folk Symphony de Dawson par le créateur, Stokowski. Une remise à disposition s’impose.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9 

Jean Lacroix

 

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