Rares et agréables variations pour clavier de Clementi par Nicholas Rimmer
Muzio CLEMENTI (1752-1832) : Cinq Variations sur un Menuet de M. Collick, WoO 5 ; Sonate en ré majeur, Op. 25 no 6 ; Thème et Variations sur The Black Joke, WoO 2 ; Variations sur Batti, Batti du Don Giovanni de Mozart, WoO 10. Musical Characteristics or A Collection of Preludes and Cadences, Op. 19 ; Canon pour Cherubini, WoO 29. Nicholas Rimmer, pianoforte. Enrgmt février-mars 2018. Livret en anglais. TT 79’14. Naxos 8.573957
Fort de sa discographie commencée voilà plus de dix ans (des albums-concepts romantiques avec le violoniste Nils Mönkemeyer chez Sony) et qui inclut une intégrale, très remarquée par la presse, de l’œuvre piano-violon de Wolfgang Rihm (Naxos, 2012), Nicholas Rimmer nous propose ici une voie de traverse. Non le Clementi des Sonates, sur lesquelles se penchèrent avec bonheur Vladimir Horowitz (RCA), Jos van Immerseel (Accent), Nikolaï Demidenko (Melodiya et Hyperion) ou Andreas Staier (Teldec). Ni même le pédagogue du Gradus ad Parnassum, que Debussy évoqua malicieusement au début de son Children’s Corner. Ni même la Fantaisie sur l'air Au Clair de la Lune. Ni même les falotes Sonatines pour pianistes en herbe, dont Satie railla la première sous les traits d’une Sonatine bureaucratique. Ni même une anthologie avec une fameuse Sonate comme locomotive -ainsi le remarquable album de Vittorio Forte (Lyrinx, 2008). Non, voici les séries de Variations que les guides et dictionnaires mentionnent à peine. Privées de numéro d’opus, si ce n’est un pudique inventaire sous WoO. Noyées dans l’honnête littérature pour clavier contemporaine de Beethoven. Elles ne crient pas au génie mais se laissent écouter, agréablement. Voire suscitent un vif intérêt, quand elles sont jouées comme ici.
Au numéro 2 du catalogue, voici une série d’élaborations sur une célèbre chanson grivoise de l’époque. On s’arrêtera sur les variations 18 et 19, superbement ébrouées et cabrées par Nicholas Rimmer, qui nous livre une conclusion carillonnante. Au WoO 5, des variations sur un menuet écrit par le père d’Elizabeth Hatchett, une élève de Clementi immortalisée par un portrait de Thomas Gainsborough. Au numéro 29, la transcription d’un Canon initialement conçu pour deux violons et alto. Dans la production du compositeur, le sommet du genre semble bien les variations sur « Batti, batti, o bel Masetto » de l’Acte I de Don Giovanni. Qui s’apparent toutefois davantage à une fantaisie-transcription. Ou, comme dirait Liszt, une réminiscence. Dont Nicholas Rimmer livre une lecture prodigieuse de sensibilité et de couleurs, se parsemant d’ineffables diaprures. Quelle joaillerie !
En piochant dans l’opus 25, l’interprète n’a pas choisi la plus courue des Sonates ! Non la cinquième qu’admirait Beethoven, mais la dernière du lot, dans un insouciant ré majeur. Presto à triolets montés sur ressorts, légitimant l’épithète « mechanicus » dont Mozart affublait Clementi. Un poco andante sous forme de charmant duo. Un Rondo qui mouline comme une tabatière à musique. Il faut tout le talent de Nicholas Rimmer pour engrener cette horlogerie et surtout lui apporter du goût voire un peu d’âme.
Le plus large recueil abordé par ce programme : l’opus 19, sorte de galerie de pastiches honorant tour à tour Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart, Leopold Kozeluch, Johann Sterkel, Jan Křtitel Vaňhal. Et enfin, Clementi lui-même qui se réserve les éclats les plus virtuoses du cahier. Là où Howard Shelley (Hyperion, 2011) se limitait aux préludes, le présent CD nous offre aussi les cadenzi. Là encore, le pianoforte (issu des propres ateliers de Clementi en 1806 et réencordé en 2017) se montre splendide de galbe et de nuances. C’est l’ample mérite de celui qui le touche ici que de transformer toutes ces pièces de second rayon en un récital chatoyant et diablement divertissant. Charme et intelligence réunis.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 10
Christophe Steyne