Otello : le noir te sied si bien !

par

© Annemie Augustijns

"Black is black" semble la devise du régisseur allemand, Michael Thalheimer, que Opera Vlaanderen avait vu à l'oeuvre pour une Forza del Destino remarquée en février 2012 et déjà fort sombre. Le décor de cet Otello de Verdi est formé par un grand cube noir (le crâne d'Otello ?) à l'intérieur duquel l'action se déroule, et qui ne s'éclairera qu'un seul instant, au suicide final du More. Autres taches de lumière éblouissante : le mouchoir fatal, objet de la sinistre tactique de Iago, et la robe de mariée de Desdémone, qui lui servira de couche, et à son époux, d'instrument de mort. Dans cette "obscure clarté", l'action avance, implacable, rythmée par une direction d'acteur serrée, profitable surtout aux spectateurs du parterre : le jeu des protagonistes, essentiel, doit se suivre dans tous les détails. Cette stratégie, au plus près du drame, profite avant tout à l'acte II et au début de l'acte III, insoutenable jeu entre Otello, Desdémone et Iago. Thalheimer réalise ici un thriller cruel, aussi fidèle à Shakespeare qu'à Boïto. Les autres tableaux n'en sont pas moins réussis pour cela, même les plus spectaculaires comme la tempête initiale ou la scène des envoyés du doge de Venise : ils sont simplement compris dans la saga des sentiments des personnages. L'intense duo des amoureux qui clôt le premier acte, ou le tragique monologue d'Otello "Dio ! Mi potevi scagliar" constituent d'autres sommets de cette mise en scène prenante par sa simplicité concentrée. Il est certain que pareille approche doit compter sur des interprètes de premier ordre, et tel fut le cas. L'Otello de Ian Storey, malgré un timbre assez ingrat et une projection insuffisante, compose un héros brisé dans la souffrance, presque dès son entrée, comme s'il acceptait un destin déjà connu. Assis dans un coin de la chambre nuptiale à l'acte IV, il se réveillera lentement et étouffera Desdémone par amour, dans sa propre robe de mariée. La belle aristocrate vénitienne, incarnée par l'américaine Corinne Winters, avait tout pour plaire et surtout pour séduire : une superbe prestance, un filé idéal, d'admirables graves, un tempérament dramatique affirmé. Sa Desdémone n'était pas l'oie blanche que l'on voit parfois, mais une femme ardente, amoureuse et fière, superbe d'allure dans le finale de l'acte III. Quelle émotion dans son Emilia, addio ! à la fin de la "Chanson du Saule". Vladimir Stoyanov, déjà Don Carlo dans la Forza de 2012, impressionne autant dans son démoniaque "Credo" que par le legato impeccable d'"Era la notte". Si le Cassio d'Adam Smith, pâlot, ne frappa guère, pas plus que le Roderigo de Stephan Adriaens ou que le  Montano de Patrick Cromheeke, saluons l'Emilia de Kai Rüütel, qui excella dans le quatuor de l'acte II, et le digne Lodovico de Leonard Bernad, bien connu de l'Opera Vlaanderen. Autre habitué des lieux, Alexandre Joel dirigea un orchestre maison en bonne forme, très attentif à l'action. Une production atypique, peut-être, mais dramatiquement très juste.
Bruno Peeters
Anvers, Opera Vlaanderen, le 14 février 2016

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