Piano en coffrets chez Warner : Lars Vogt et Leif Ove Andsnes
Lars Vogt. The Complete Warner Classics Edition. 1995-2005. Livret en anglais, allemand et français. 27 CD. Warner Classic. 5054197 604909.
Leif Ove Andsnes. Thr Warner Classics Edition 1990-2010. Livret en anglais, allemand et français. 36 CD. Warner Classic. 5054197 414008.
Warner Classics met en boîte le legs discographique du pianiste Lars Vogt, décédé en 2022, ainsi que les enregistrements de son confrère Leif Ove Andsnes pour Virgin et EMI.
Commençons par le coffret dédié à Lars Vogt car c’est un objet formidable tant par la qualité artistique des enregistrements du pianiste que par le retour de disques qui avaient été plus ou moins diffusés à travers le monde, en particulier les albums chambristes captés live au festival de Spannungen, manifestation fondée par Lars Vogt dans une station hydroélectrique située à quelques encablures de sa ville natale de Düren et à proximité de la frontière belge.
Lars Vogt était un pianiste fascinant par son répertoire et par sa flexibilité : visionnaire dans le répertoire solisteique, galvanisant en concerto et charismatique en musique de chambre. Commençons d’ailleurs avec ce domaine, terrain d’excellence de ce musicien. Près de la moitié de ce coffret est consacrée à des prestations de musique de chambre que ce soit en studio ou en live. Au premier abord, on retient la parfaite adaptabilité d’un musicien aussi à son affaire en duo, en trio qu’en quintette et autant avec des instrumentistes à cordes qu’avec la clarinettiste Sabine Meyer ou la corniste Marie-Luise Neunecker. Notons une autre grande adaptabilité aux personnalités des artistes. Lars Vogt se met au diapason de musiciens et musiciennes aussi différent(e)s que les violonistes Christian Tetzlaff et Sarah Chang ou que les violoncellistes Truls Mørk et Boris Pergamenschikow. Bien évidemment, Lars Vogt et ses compères sont excellents dans le répertoire allemand avec des Brahms ombrageux, savoureux et musicaux ; des Schumann magistraux de vérité ; des œuvres russes fabuleuses (Trio en la mineur, Op.50), ou la pureté minérale du Quatuor pour la fin des temps de Messiaen. Aux sommets chambristes, portons des Dvořák fabuleux de saveurs, de timbres et d'énergies (Quatuor avec piano, Op. 87 ; Trio, Op.81 et Quintette, Op.81).
Le répertoire solistique est également largement représenté avec Beethoven (Sonates n°5 et n°32), mais surtout Schumann Bunte Blätter, Fantasiestücke, et Kreisleriana et une large sélection de partitions de Brahms. On admire ici la hauteur de vue et la portée narrative d’un pianiste conjuguant tant la forme, l’esprit que le style. Mozart et Haydn sont également parfaitement servis par Lars Vogt : motricité, sens des couleurs et des contrastes !
Peu de concertos si ce n’est une double addition Grieg / Schumann et des Concertos n°1 et n°2 de Beethoven avec le City of Birmingham Symphony Orchestra et Simon Rattle. On note des lectures communicatives et vigoureuses qui décapent un peu des deux concertos souvent traités avec trop de respect et de célérité rigoureuse. Grieg et Schumann s'enivrent et s’encanaillent ! Les concertos de Beethoven sont plus équilibrés avec une parfaite adéquation chef / soliste. Notons que le Concerto n°1 est proposé en double avec les cadences de Beethoven et celle de Glenn Gould. Pour être complet, il faut mentionner la belle lecture du la Kammermusik n°2 de Hindemith où le pianiste est accompagné par rien moins que des Berliner Philharmoniker avec Claudio Abbado. C'est une interprétation de grand luxe tirée de l’intégrale Abbado.
Dès lors, ce coffret est à thésauriser pour le talent magistral du pianiste, mais aussi pour la variété des œuvres et des répertoires.
Note globale : 10
Nous avions évoqué lors d’une interview avec Leif Ove Andsnes, son fabuleux parcours au disque pour les labels Virgin et Erato, une somme qui fait date et qui caractérise l’art de ce pianiste curieux et exigeant. Tout comme Lars Vogt, on ne peut qu’admirer l’amplitude stylistique de l’artiste : magistral dans Schubert, mais incandescent dans Rachmaninov, précis et analytique dans des partitions contemporaines de Dalbavie et Kurtág, conteur humble et poétique dans des pièces de Grieg ou des miniatures scandinaves. Du côté des répertoires, on passe de Haydn et Mozart aux classiques de Brahms, à la rusticité rauque de Janáček ou à l’abrasivité de Lutoslawski. Il y a tant de grandes gravures à placer aux sommets, à commencer par ce projet qui mélange des Sonates et des lieder de Schubert dont la sincérité, l’humanisme poignant et la maîtrise conceptuelle émerveillent. L’intégrale des Concertos de Rachmaninov avec le London Symphony Orchestra sous la direction d’Antonio Pappano est également une immense réussite. Bien évidemment, cela ne sonne pas “russe” et cette vision brillante mais motorique peut décontenancer car on sait que cette intégrale a ses détracteurs. Mais comment ne pas admirer cette force brute, presque sauvage, tel d’une main de fer dans un gant de velours qui galvanise ces partitions avec des stimulus d’énergies. Autre immense succès : un intégrale des Trios de Schumann en compagnie de Christian Tetzlaff et Tanja Tetzlaff. Finesse du trait, qualité des dialogues et poésie sont les piliers de cette somme.
Pour le reste, on évolue sur les cîmes avec des lectures toujours réussies, que ce soit des bondissants concertos de Haydn et de Mozart dirigé du clavier avec les virtuoses du Norwegian Chamber Orchestra ou l’acuité des Sonates pour violon de Bartók avec Christian Tetzlaff, l’un de ses fidèles compagnons de route musicale.
Rien n’est à oublier de ce parcours musical presque boulimique par son amour immodéré de toutes les musiques, d’un artiste véritablement sans frontières qui excelle avec tout ce qu’il joue.
Note globale : 10
Pierre-Jean Tribot