Poulenc et Damase réunis par le duo Cornil-Reyes

par

Francis Poulenc (1899-1963) : Sonate pour deux pianos - Élégie « en accords alternés » pour deux pianos – Capriccio d’après Le Bal masqué pour deux piano. Jean-Michel Damase (1928-2013) : Sonatine pour deux harpes ou deux pianosDrominiana : Trois pièces pour piano à quatre mainsMirage pour piano à quatre mains – Compliment d’anniversaire pour deux pianos. Dominique Cornil, Eliane Reyes, pianos.  2022. Texte de présentation en français et anglais. Azur Classical.AZC188

C’est avec un plaisir assumé que nous retrouvons au disque Dominique Cornil et Eliane Reyes dans une association longtemps attendue : la musique pour deux pianos et quatre mains de Francis Poulenc et Jean-Michel Damase. L’occasion rêvée de gouter à la beauté sincère et aux styles francs de ces deux compositeurs français du 20e siècle. Il convient dès lors de saluer l’initiative des deux pianistes belges qui nous livrent à travers ce récital une lecture d’une finesse et d’une profondeur de haut vol. Eliane Reyes et Dominique Cornil sont deux pianistes et pédagogues accomplies aux ressources inépuisables. Si Dominique Cornil passe volontiers de Scott Joplin à Ravel ou Franck, Eliane Reyes aime surprendre en mettant à l’honneur des artistes dont le talent est injustement mis de côté (Tasman, D’Indy, Godart, Paray…). Cette aptitude à rendre hommage à ces compositeurs oubliés démontre, d’une part, une aptitude à se démarquer des carcans habituels et, d’autre part, une belle et grande maturité artistique. C’est d’ailleurs ce qui ressort de ce nouvel enregistrement à paraître chez Azur Classical de notre compatriote Luc Baiwir : la quête du beau et une justesse esthétique qui fait mouche. 

C’est la Sonate pour deux pianos de Poulenc qui ouvre le bal. De la résonance sombre et assourdissante des accords du « Prologue » naît une atmosphère intense et tendue avant un retour au calme et à la sérénité. Outre le dialogue naturel et une mise en place parfaite, l’« Allegro molto » se déploie avec limpidité et une clarté de jeu qui ouvre la voie à un travail d’architecture et de timbre de longue haleine. L’« Andante lyrico » alterne lyrisme apaisé et rappels piquants, tandis que l’« Épilogue », particulièrement virtuose, résume à lui seul toutes les qualités des trois autres mouvements à travers le prisme de la sincérité et de la justesse esthétique.  

Six ans plus tard, Poulenc dessine l’Élégie « en accords alternés » dont les commentaires de Poulenc relevés par Michel Stockhem dans son texte de présentation donnent le ton : « Jouer cette Élégie comme si on improvisait, un cigare aux lèvres et un verre de cognac sur le piano ». A ce propos, soulignons l’excellente prise de son de Luc Baiwir qui rend à l’ensemble du programme cette ambiance de salon propice à ce répertoire où s’épousent délicatement nombre de textures et de couleurs. Dans cette Elégie, le duo Cornil-Reyes tire toute l’essence de cet enchainement d’accords en faisant la part belle à une approche architecturale au service de la phrase.  

Retour en 1952 avec Le Bal masqué, cette cantate profane du compositeur de Dialogues des Carmélites dont est issue ce Capriccio, cette miniature pour deux pianos dédiée à Samuel Barber. Ici, la fête avec ses rythmes endiablés embrasse une atmosphère bon enfant, avec néanmoins quelques harmonies qui viennent parfois assombrir le caractère général. Mais à nouveau, ce feu d’artifices ne serait qu’une succession de notes sans le jeu pianistique brillant du duo, son timbre caractéristique et sa gestion de l’équilibre des nuances et dynamiques. 

« Tant de traits réunissent l’œuvre du maître de Dialogues des Carmélites et celui… des leçons de solfège. Car voilà bien le tort : contrairement à Poulenc qui s’est tenu à l’écart de l’enseignement et des institutions, Damase, prix de Rome à 19 ans, a écrit des leçons de solfège et des morceaux de concours. Rien de tel pour noircir une réputation et oublier tout le reste (Michel Stockhem, texte de présentation) ! » Damase est certes moins connu que Poulenc, mais sa musique n’en demeure pas moins brillante et passionnante, notamment dans ces quatre ouvrages écrits entre 1964 et 2002 mis en lumière par le duo Cornil-Reyes. La Sonatine pour deux harpes écrite un an après la mort de Poulenc oscille entre douceur et mouvements d’humeur plus dansants. L’« Andante » nous rappelle la musique de Fauré, le caractère enfantin et bienveillant de Dolly, alors que le « Presto » met en exergue l’agencement des timbres et le travail d’architecture que Damase manie à la perfection. 

Plus modernes de style et de langage, les trois miniatures de Drominiana évoluent entre sérénité et tension, notamment par l’apport harmonique mais aussi l’ambitus pianistique large utilisé pour le « Molto moderato », le moelleux pour l’« Andantino » et la vivacité de l’« Allegro vivo ». 

Le côté affectueux presque charnel de Mirage fait place à plus d’humour, sans doute un brin d’ironie, avec Compliment d’anniversaire qui reprend un thème bien connu à maintes reprises.

C’est définitivement un très beau programme que nous propose le duo Cornil-Reyes. Un programme que l’on aimerait entendre sur nos scènes et qui rend hommage à deux compositeurs de génie. La musique se voit transcendée et mêle de nombreux sentiments à une palette de dynamiques et de couleurs infinie. C’est tout simplement beau, on en redemande. 

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10

Ayrton Desimpelaere

 

 

 

 



Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.