Orphée et Eurydice aux Champs-Elysées

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La reprise de la mise en scène de Robert Carsen présentée au Théâtre des Champs-Élysées jusqu’au 1er octobre date maintenant de plus de dix ans. Retravaillée avec soin, elle se réfère à la version viennoise de la création (1762) en italien où le rôle d’Orphée fut chanté par un castrat contralto. Mais... ici c’est un contre-ténor, Jakub Josef Orlinski, qui interprète l’aède et les ballets ont disparu si bien que l’on serait tenté d‘y voir une cinquième version du chef d’œuvre de Glück. Eventail vocal rare puisque la seconde version donnée à Parme fut confiée à un castrat soprano (1769), la troisième dirigée par le compositeur en présence de Marie-Antoinette à un ténor (1774), et celle de Paris avec ballets fut révisée par Berlioz pour la contralto colorature Pauline Viardot (1859).

En choisissant un décor unique (les quatre éléments ordonnés sur la courbure terrestre) Robert Carsen explique se focaliser sur l’enjeu du mythe, c’est à dire la confrontation vie-mort-musique. Célébration funèbre ou rituel ésotérique, toujours est-il qu’elle place le profane à distance. L’esthétique puritaine ponctuée de sempiternels costumes-tailleurs noirs renvoie avec une cruelle exactitude le reflet d’un monde sans joie, sans couleurs, sans plaisirs (Que revienne le temps des tuniques grecques surtout portées par de tels interprètes !)

Le contraste entre ces sévères tableaux et la musique d’« apparat et de cérémonie » du chevalier C.W. Gluck dixit Debussy  -qui lui opposait la candeur de Rameau et lui reprochait d’avoir engendré Wagner-  saisit dès les premières mesures. D’autant plus que Thomas Hengelbrock à la tête de son orchestre et du Chœur Balthazar Neumann déroule un rutilant tapis de cordes bientôt secondées par des cuivres et vents conquérants. En noir et blanc (comme nous l’explique la brochure de présentation), la conception du chef souligne les oppositions (échanges harpe et Chœurs). Revient alors aux chanteurs, Orphée en tête, le soin d’incarner la fragilité, la puissance de sentiments capables d’apaiser les Enfers.

Le contre-ténor polonais assume les déplacements mécaniques de la scénographie si antinomiques pourtant de sa souplesse de danseur. Au centre d’un espace scénique et sonore épuré, il va et vient, un peu emprunté jusqu’au moment où le naturel reprend le dessus et où il saute comme un cabri dans la tombe d’Eurydice. Il parvient ensuite à insuffler beaucoup d’intensité à l’affrontement amoureux avec la nymphe ( Acte III). Lors de la parution de son CD Face d’Amore (Crescendo, le 5 avril 2020)  nous avions écrit que « Son audace, son refus d’afféterie, la tension qu’il insuffle prodiguent à l’expression de la douleur quelque chose de révolté, d’acerbe. Si la tendresse conserve toute sa place à côté des fureurs, larves, spectres et tempêtes, elle reste toujours contenue. » ; toutes qualités qui se sont ici superbement épanouies.

Annoncée souffrante Regula Mühlemann trace avec simplicité l’énigmatique silhouette d’Eurydice tandis qu’Elena Galitskaya, vouée à une pantomime assez fruste, donne une image paradoxale du dieu Amour couronnée par une « fin heureuse » sarcastique à souhait .

Furies, Monstres, Nymphes, Pâtres et dieux ont disparu au profit de cadavres et de linceuls. S’est-on égaré du côté de Beckett, Brecht ou Berg ? -Peut-être. Aussi serait-il téméraire d’ouvrir le livret juste avant le fameux air d’Orfeo Che puro ciel qui décrit un « Paysage charmant grâce aux bosquets qui verdoient, aux fleurs qui tapissent les prairies, aux recoins ombragés que l’on y découvre, aux fleuves et aux ruisseaux qui le baignent »...

Où sont passés la sensualité, le plaisir, la vie ? La réponse vient aux saluts -dans le sourire radieux de Jakub Josef Orlinsky.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 21 septembre 2022

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques :  Vincent Pontet

 

 

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