Pour Beethoven, une nouvelle « apothéose de la danse », par von der Goltz
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n° 7 en la majeur, op. 92 ; Les Créatures de Prométhée, ballet complet, op. 43. Freiburger Barockorchester, direction Gottfried von der Goltz. 2020. Notice en français, en anglais et en allemand. 103.17. Un album de deux CD Harmonia Mundi HMM 902446/47.
Même si la pandémie a limité l’ampleur de l’hommage qui lui était dû en 2020, « Beethoven est vivant ! », comme le précise un texte de la notice : Derrière l’apparente banalité de l’expression, une démarche réunit l’ensemble des artistes Harmonia Mundi impliqués dans cette collection 2020-2027, entre le 250e anniversaire de sa naissance et le 200e anniversaire de sa mort. Dans cet esprit, est née une série d’enregistrements où l’on retrouve déjà la version de 1805 de Leonore et la Missa solemnis par René Jacobs, la Symphonie n° 9, la Fantaisie chorale ou le Triple Concerto (avec Isabelle Faust, Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov) dirigés par Pablo-Heras-Casado, qui est aussi le partenaire de Kristian Bezuidenhout pour des Concertos pour piano, couplés à des ouvertures. Pour chaque CD, c’est le Freiburger Barockorchester qui officie. Cette fois, Gottfried von der Goltz l’emmène pour un programme autour de la traditionnelle « apothéose de la danse » que le titre de la notice utilise sous une forme interrogative. Nous verrons quelle réponse y est donnée.
Originaire de Würtzbourg (°1964), le violoniste et chef d’orchestre Gottfried von der Goltz, qui a étudié à la Juilliard School, est à la tête de l’Orchestre baroque de Fribourg-en-Brisgau depuis plus de deux décennies. Cette phalange, vouée aux instruments anciens, a été fondée en 1987, et a été d’abord conduite par Thomas Hengelbrock avant que son chef actuel ne lui succède. Avec von der Goltz, elle compte à son actif une belle discographie, où l’on retrouve Bach, Telemann, Vivaldi, Mozart (arias avec Christian Gerhaher, concertos pour piano avec Kristian Bezuidenhout, symphonies de jeunesse), Fux, Pisendel ou encore Haydn (concertos avec Andreas Staier) et Mendelssohn, toujours avec Bezuidenhout. On ne présente plus la fabuleuse Symphonie n° 7, achevée au printemps de 1812, donnée en premières exécutions publiques à Vienne au cours de deux soirées en décembre de l’année suivante, et publiée en 1816. Cette partition, où le rythme règne en maître, bénéficie de somptueuses références bien connues. La présente version sur instruments anciens se révèle d’emblée d’un grand dynamisme, dans des tempi qui ne sont pas précipités, mais donnent à l’ensemble des mouvements une cohérence vivante, particulièrement animée, avec des couleurs aux multiples nuances. L’oreille est séduite par la qualité des basses, par la clarté des timbales, par les cuivres bien contrastés. Les deux premiers mouvements, Poco sostenuto et Allegretto, installent une atmosphère expressive très séduisante, entre tensions, finesse diaphane et lyrisme assumé, avant un Presto vigoureux, à notre avis le meilleur moment de cette interprétation. On aurait souhaité l’Allegro con brio final d’un magnétisme encore plus vibrant, mais ce n’est pas un reproche, car on se situe à un haut niveau.
Après la quarantaine de minutes proposées par ce premier CD (l’une ou l’autre ouverture en complément n’aurait pas été de refus), le second disque de l’album offre le ballet complet des Créatures de Prométhée, dont le souvenir de la lecture de Nikolaus Harnoncourt au Muzikverein de Vienne, en novembre 1993, est bien ancré dans notre mémoire. Plus récemment, pour Decca en 2013, George Petrou et l’Armonia Atenea en avaient donné une approche décapante. Cette musique de ballet, créée à Vienne en mars 1801 sur une idée du danseur et chorégraphe italien Salvatore Vigano (1769-1821), est à situer, dans la production beethovenienne, entre les deux premières symphonies. On joue souvent l’ouverture seule, mais on ne prend la réelle dimension de la partition qu’à l’écoute de l’intégralité. Ici, les dix-huit séquences, dont certaines sont brèves, s’inscrivent dans une grande continuité dramatique pour cette musique sur fond mythologique dont le livret a été perdu, mais dont des chercheurs ont reconstitué une trame autour du thème du feu (détails dans la notice). Une nervosité de bon aloi, alliée à une grandeur équilibrée, se manifeste dès l’ouverture, suivie d’une Tempesta évocatrice, et va se maintenir tout au long d’un discours volubile et très fluide. Avec des sommets d’intensité, comme l’Adagio-Andante quasi Allegretto (n° 5) où les accords de la harpe, de la flûte, du basson et de la clarinette s’entrelacent à la manière d’un bijou concertant, la Marcia exaltée (n° 8) ou la Pastorale sensible (n° 10). Tout est d’une finesse pleine de créativité, ciselée avec un sens de la danse qui apporte une réponse plus que positive à l’interrogation posée par la notice. Quant au Finale, il confirme toute la fièvre de l’apothéose, le ballet s’achevant dans un irrésistible élan d’allégresse.
Ce très bel album s’inscrit avec bonheur dans ce projet 2020-2027 entamé par Harmonia Mundi et jette un pont des plus généreux vers la suite d’une collection qui risque de compter dans la discographie beethovenienne lorsqu’il sera mené à son terme. Effectué en février 2020, l’enregistrement, en particulier des Créatures de Prométhée, bénéficie d’une belle image sonore, qui souligne avec efficacité toute l’ardeur orchestrale.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9 (Symphonie n° 7) ; 10 (Créatures)
Jean Lacroix