Quand le fantastique s'invite chez Bruckner
Anton BRUCKNER (1824 - 1896)
Symphonie n° 4
Orchestre Symphonique de Pittsburgh, dir.: Manfred HONECK
2015-SACD-Live-56'10-Textes de présentation en anglais-Reference Recordings FR-713
« Je crois que [la quatrième symphonie de Bruckner] conte une histoire de fiction et fantastique. A mon avis, elle est presque un poème symphonique dans les habits d'une symphonie ». Ainsi s'exprime Manfred Honeck, en charge de l'orchestre de Pittsburgh depuis 2008. Pour originale qu'elle soit, cette idée est défendue avec une certaine conviction par le chef autrichien, tout au moins par écrit. Mais qu'en est-il à l'écoute? Dès l'abord, quelque chose ne va pas: cette troisième note du thème aux cors, trop courte, presque escamotée, ainsi qu'à chaque rappel de cette invite, déstabilise tout le mouvement, l'empêche de trouver son indispensable assise. Et de fait, toute cette partie initiale de l'oeuvre oscille entre manque de contrastes et sur-accentuations, péchant par excès de rubatos sans nécessité ou par accélérations inattendues et saugrenues. Il en résulte une sorte de jeu d'accordéon, comme le ballet de voitures prises dans une trop longue file. Les cordes sont molles, les cuivres englués. Les jolis moments ne manquent pas mais ils sont très éphémères: quelques secondes, pas plus, et le tout mis ensemble paraît fort décousu. On se rend alors vite compte que, comme annoncé, le chef tente de nous raconter une histoire. Le problème est que, contrairement à un poème symphonique, cette symphonie n'a pas de programme clairement décrit et l'histoire qu'il veut nous conter et qui nous semble très précise dans son esprit... y reste malheureusement. Par conséquent, nous avons l'impression d'entendre une aventure dans une langue que nous ne comprenons pas. Ce qui est sûr, c'est que cette lecture s'écarte d'à peu près tout ce qui a été fait jusqu'à présent; nous n'avons donc pas le moindre repère pour tenter de nous y retrouver. Qu'il voie des fantômes, des spectres, des elfes, des gnomes ou des nains dans l'épopée qu'il s'imagine, il ne peut empêcher le second mouvement de s'assoupir tout du long, sans guère de secousse pour le réveiller. Le scherzo renoue avec la succession d'accélérations-décélérations et la liberté, vraiment trop grande, qu'il prend avec la barre de mesure. Même s'il n'a jamais dirigé Bruckner, Mengelberg pouvait se permettre de telles libertés dans les répertoires qu'il abordait parce que... c'était Mengelberg! Et parce que son histoire à lui prenait tout son sens et s'inscrivait dans une logique imparable qu'il imposait à la face de l'auditeur avec un brio et une conviction inimaginables. Mais ici... Non, vraiment, nous ne parvenons pas à être conquis: le discours est trop confus, manque, à notre entendement, de logique; la structure de l'oeuvre se perd dans les détails et les apartés entre instruments, etc. etc. Manfred Honeck ne nous avait guère convaincus dans ses Mahler. Nous craignons de devoir aboutir à la même conclusion avec ce disque. A sa décharge, il faut certainement blâmer la prise de son qui rend presque inaudible tout ce qui est joué piano et en-dessous et écrase tout à partir de mezzo-forte. Un disque qui n'enrichira aucune discothèque, à notre avis.
Bernard Postiau
Son 4 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 4