Que de décibels pour une "Forza del Destino" !
... vraisemblablement destinée aux malentendants !
Un ouvrage tel que ‘La Forza del Destino’ à l’orchestration importante (avec les bois et les trompettes par deux, les cors et trombones par quatre, percussion, orgue et cuivres en coulisse) peut-il être donné en version de concert ?
Dans une salle aussi réverbérante que le Victoria Hall, l’on doit répondre négativement, tant la disposition solistes au premier rang, orchestre et chœur ne produit qu’un magma sonore. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Paolo Arrivabeni bouscule la célèbre ouverture et le premier tableau de l’acte III par des tempi exagérés puis laisse sonner la formation sans songer à feutrer le canevas pour ‘accompagner’ arie et duetti. Le Chœur du Grand-Théâtre de Genève, préparé par Alan Woodbridge, s’adapte à cette dynamique en ne cultivant que la notion forte. Les solistes font de même en poussant leurs aigus, ce qui pénalise la Leonora de Csilla Boross et le Don Carlo de Franco Vassallo, alignant des notes sans posséder la moindre notion du legato verdien. L’Alvaro d’Aquiles Machado tente de livrer quelques contrastes de phrasé, vite broyés par la véhémence des tutti. Pour Preziosilla et Fra Melitone, deux rôles que Verdi jugeait cruciaux dans l’équilibre de son œuvre, Alima Mhamdi n’a à offrir qu’un registre supérieur engorgé et une technique à peaufiner, quand José Fardilha ne possède aucune inflexion cocasse à prêter au truculent moinillon, ce que l’on imputera aussi au Trabuco de Rémi Garin. Finalement, il faut se tourner vers les deux basses, Alexander Teliga (le Marquis de Calatrava) et surtout Vitalij Kovaljow (le Padre Guardiano) pour percevoir la noblesse de ligne qui convient à leur personnage. Dans tout ce fatras, un moment d’accalmie : le finale de l’acte II, « La Vergine degli Angeli », avec l’espoir que, dans les nuées, l’Immaculée ne soit pas devenue sourde !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 3 février 2016