Quelques parutions discographiques majeures de 2015

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Les fleurs pâles du souvenir...
Oeuvres complètes de Guillaume Lekeu
1994 célébrait le 100e anniversaire du décès de Guillaume Lekeu disparu prématurément à l'âge de 24 ans d'une fièvre typhoïde. Le compositeur a toujours bénéficié d'une grande sympathie et reconnaissance dans le coeur des mélomanes belges. Et pourtant, ce sont essentiellement sa Sonate pour violon et son Quatuor à clavier, tous deux commandes d'Eugène Ysaÿe, que l'on pouvait entendre au disque et en concert. Grand admirateur de Lekeu, Jérôme Lejeune, fondateur du label Ricercar, décida d'enregistrer son oeuvre avec ce que la Belgique comptait de meilleurs interprètes : Philippe Hirshhorn, Philippe Koch, Anne Leonardo, Luc Dewez, Marie Hallynck, Luc Devos, Jean-Claude Vanden Eynden, Catherine Mertens, Daniel Blumenthal, Dirk Herten, Bernard Foccroulle, Carl Delbart, Greta de Reyghere, Dynah Bryant, Lucienne Van Deyck, Guy De Mey, Zeger Vandersteene, Philippe Huttenlocher, Jules Bastin, Domus, le Quatuor Camerata, l'Orchestre Philharmonique de Liège et son chef Pierre Bartholomée, le Grand Orchestre d'Harmonie des Guides dirigé par Norbert Nozy et le Choeur Symphonique de Namur. La diversité des interprètes nous montre la diversité des oeuvres de ce compositeur qui ne vécut que 24 ans. Le tout fut enregistré à la Salle Philharmonique de Liège entre 1987 et 1994, année du centenaire. La tâche fut facilitée par la parution en 1993 de l'ouvrage de Luc Verdebout consacré à la correspondance du compositeur chez Mardaga car, jusqu'alors, on connaissait peu de la chronologie de ses 50 opus. Par contre, cette même tâche ne fut pas aisée car la plupart des pièces restaient en l'état de manuscrits, et beaucoup d'entr'elles en l'état de fragments. Par ailleurs, le jeune Lekeu s'était adonné à la composition en "self-made man" avant de rejoindre l'enseignement de César Franck puis de d'Indy, et dans ces diverses pièces, Jerôme Lejeune dut faire un choix; de même il n'a repris ici que les oeuvres achevées. Cela fait tout de même un beau coffret particulièrement soigné de huit CD et un texte très fourni et passionnant de Jérôme Lejeune (en anglais, français et allemand) qui permet de suivre l'évolution du compositeur héritier du romantisme à "celui qui aurait pu ouvrir la troisième voie aux côtés de Debussy et de Schoenberg" s'il avait vécu plus longtemps.
RICERCAR RIC 351

La CreationPhilippe Herreweghe et les Oratorios de Haydn
Quelques mois après des Saisons remarquées (Joker de Crescendo), Philippe Herreweghe se lance dans le deuxième grand oratorio de Haydn, cependant le premier écrit par un compositeur de bientôt 70 ans venu sur le tard aux grandes fresques religieuses, La Création. Réalisé à Flagey, l'enregistrement magnifie encore la pureté vocale du Collegium Vocale, la précision instrumentale et la transparence de l'Orchestre des Champs Elysées. Les solistes (Christina Landshamer et Maximilian Schmitt déjà présents dans Les Saisons auxquels s'ajoute la basse Rudolf Rosen) révèlent une séduisante fraîcheur.
PHI - Outhere

PetrenkoL'intégrale des Symphonies de Chostakovitch par Vasily Petrenko
Enregistrées entre 2008 et 2013 avec le Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, chacune des sorties des quinze symphonies de Chostakovitch était accueillie avec grand bonheur. Voici un chef qui frappe juste, interroge les oeuvres au coeur de leurs racines avec une rare autorité pour les livrer avec une transparence sans égal, un chef également judicieux dans le choix de ses solistes. Ce n'est pas sans raison qu'à 39 ans il ait été l'élu de la Philharmonie de Berlin où il prendra ses fonctions dans trois ans, poursuivant par ailleurs son parcours à l'Orchestre Philharmonique d'Oslo et à l'Opéra de Munich. Naxos a eu la bonne idée de regrouper les quinze symphonies en un coffret de onze CD. Une intégrale qui assurément fera date et que l'on peut ranger sans réserve aux côtés de celles de Barshaï ou de Kondrashin.
Naxos 8.501111

Argerich BachLes concertos pour piano de Bach
Martha Argerich & Friends
Peut-on jouer Bach au piano ? Une question qui interrogeait les puristes il y a encore deux décennies et qui aujourd'hui semble mettre tout le monde d'accord. Il y aura toujours évidemment les admirateurs de Gustav Leonhardt et ceux de Glenn Gould. Mais oui, on peut jouer Bach au piano ; ce qu'évoque Gilles Cantagrel dans la brève mais pertinente notice qui accompagne ces deux DVD. En guise d'affirmation, Martha Argerich a réuni ses amis à la Salle Pleyel les 21 et 22 octobre 2013 pour deux soirées consacrées aux concertos pour clavier de Bach en compagnie de l'Orchestre de Chambre de Lausanne. Qui retrouvons-nous dans cette joyeuse petite bande qui a axé la soirée sous le signe de la belle humeur ? Nicolas Angelich, Frank Braley, Khatia Buniatishvili et sa soeur Gvantsa, Michel Dalberto, David Frey, Nelson Goerner, David Kadouch, Stephen Kovacevich, Dong-Hyel Lim, Gabriela Montero, Akane Sakai, Maurici Vallina et Lilya Zilberstein. Ils se répartissent une presqu'intégrale des treize concertos pour clavier auxquels il manque en fait les plus connus -BWV 1052 en ré mineur, 1053 en Mi Majeur, 1057 en Fa Majeur et le deux claviers BWV 1060 en ut mineur. Ci-et-là des petits soucis d'ensemble, des passages orchestraux un peu scabreux... mais l'essentiel n'est pas là. Au total, 177 minutes de plaisir d'écoute ; pour les artistes, le plaisir de jouer et celui du partage.
2 DVD BelAir BAC 115

41rO0R4uiaLLes cinq concertos de Beethoven avec Christian Zacahrias au piano et à la direction
Cette intégrale des concertos pour piano de Beethoven (excepté la transcription pour piano réalisée par le compositeur de son concerto pour violon) ravira les inconditionnels de Christian Zacharias dont je ne suis pas. Mais qu'est-ce qui pousse les pianistes à vouloir à la fois diriger et jouer ? Mitsuko Ushida y arrive bien dans quelques concertos de Mozart avec l'Orchestre de Cleveland, Andsnes a magnifiquement réussi au disque l'intégrale beethovénienne avec le Mahler Chamber Orchestra même si en concert, lors de la première au Festival Beethoven de Bonn, on retrouvait les failles que l'on retrouve ici dans l'enregistrement DVD de Zacharias. L'Orchestre de Chambre de Lausanne n'est pas le Cleveland ou le Mahler, et le pianiste n'est au fait ni à la direction molle et peu précise, ni au piano qui entre souvent un rien trop tôt et débite son discours sans aucun engagement ou expressivité, si ce ne sont quelques poussées hystériques. On avait eu l'occasion d'entendre cette intégrale en salle au Festival Enescu de Bucarest et les mêmes remarques s'imposaient. L'enregistrement n'a rien amélioré.
2 DVD BelAir BAC 114

SibeliusLes superbes productions du Berliner Philharmoniker
Après les quatre symphonies de Schumann, le Berliner Philharmoniker poursuit l'aventure de son propre label avec deux coffrets qui ne manquent pas de classe, tant éditoriale que musicale et technique : la qualité blu-ray/CD 24 bits, une présentation très soignée comme le montrent leurs illustrations, un long entretien avec les chefs qui expriment de façon claire, dynamique et vivante leurs relations avec le compositeur en vidéo blu-ray (visible uniquement par les lecteurs adaptés), un commentaire bref mais pertinent de chaque oeuvre en allemand et en anglais et, pour chacune de celles-ci, sous forme de tableau, leur date de composition, de création, où et par qui, leur première exécution par la célèbre phalange et leur chef -c'est ainsi que l'on constate que ce n'est qu'en 2010 que fut jouée pour la première fois par l'orchestre la
3e Symphonie de Sibelius sous la direction de Sir Simon Rattle. Car c'est bien de Rattle et l'intégrale des sept symphonies de Sibelius qu'il s'agit ici, une intégrale qu'il avait déjà réalisée avec son orchestre de Birmingham à la fin des années 1980 et que, année Sibelius oblige, Warner vient de rééditer. Toute intégrale de Sibelius a ses points forts et ses faiblesses, tant Berglund que Vanska ou Rozhdestvensky. Aussi parlera-t-on de cette intégrale comme une grande intégrale dans laquelle Rattle s'appuie sur l'orchestre à sa disposition pour privilégier la transparence, la dynamique, le lyrisme et l'arche de la grande forme, toutes qualités qui étaient en germe dans sa vision précédente.
SchubertL'autre production du Berliner est consacrée à Schubert, ses huit symphonies auxquelles s'ajoutent les deux Messes -n°5 en la bémol majeur et n°6 en mi bémol majeur) ainsi que l'opéra confidentiel du compositeur qui en redoutait le genre mais que Harnoncourt chérit par-dessus tout,
Alfonso und Estrella. C'est entre 2003 et 2006 que le chef se trouvait au pupitre du Berliner Philharmoniker pour un cycle Schubert. La qualité pure audio blu-ray magnifie encore ici la redoutable technicité de l'orchestre et la justesse de ton que Harnoncourt imprime au répertoire qu'il délivre. En outre, il n'a pas lésiné sur le choix des chanteurs : le jeune Jonas Kaufmann, Christian Gerharer, Luba Orgonosova, Dorothea Röschmann, Bernarda Fink,... Un pur régal.
Berliner Philharmoniker BPHR 150071 (Sibelius), BPHR 150061 (Schubert)

Bernadette Beyne

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