Raretés frescobaldiennes à l’orgue et au clavecin par Adrien Pièce
Frescobaldi’s Manuscripts. Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : pièces en manuscrit. Adrien Pièce, clavecin, orgue. Juillet-août 2021. Livret en français, anglais. TT 61’26 + 56’34. Claves 50-3074/75
Il primo libro delle Fantasie (1608), Toccate e Partite d'Intavolatura di Cimbalo libro primo (1615), Recercari et Canzoni franzese (1615), Il primo Libro di Capricci (1624), Il secondo Libro di Toccate etc. (1627, et non 1617 comme indiqué erronément dans le livret), Fiori Musicali (1635) et Canzoni alla francese (1645) : si vous connaissez déjà ces célèbres recueils, vous ne risquez guère d'en doublonner les ressources car ce double-album nous intéresse à des pages non imprimées du vivant du compositeur. Conservés dans diverses archives principalement européennes (Fondo Chigi de la Bibliothèque vaticane, Fondo Giordano/Foà de la Bibioteca Nazionale de Turin, Manuscrit de Münich de la Bayerische Staatsbibiothek, British Library de Londres, Manuscrit Bauyn de la BNF, ou encore des fonds privés), ces fascicules ont été compilés par Étienne Darbellay et Constance Frei dans le cadre d'un volume des œuvres complètes, publié en 2018 chez l'éditeur milanais Suvini Zerboni.
Pour autant, certaines œuvres ici entendues évoqueront des rédactions plus célèbres qui sortirent des presses, ainsi par exemple une autre version de l'Aria detta Balletto, ou une passacaille qui rappelle sous une forme simplifiée les Cento Partite sopra Passacagli. Une fervente Elevatione apparaîtra moins ornée que ses cousines mieux connues. On notera que ces pièces, même si elles relèvent de l'esthétique de Frescobaldi, ne sont pas toutes de sa main mais peuvent avoir été copiées par des élèves, des membres de son entourage ou des contemporains. On identifiera certains airs, ainsi un suggestif Capriccio fatto sopra il Cuccù, dont le chant est par ailleurs évoqué dans le recueil de 1624, ou un Balletto qui reprend la mélodie illustrée dans la Partita auff die Mayerin de Johann Jakob Froberger (1616-1667).
En complément de son intégrale enregistrée pour Brilliant (2011), Roberto Loreggian en avait gravé entre octobre 2020 et mars 2021 une très large sélection en six disques. Le jeune musicien suisse nous livre sa propre anthologie, plus congrue mais fidèle à la variété des genres, cela sur un clavecin inspiré de modèles italiens du XVIIe siècle (CD 2) et sur un orgue (CD 1) de l'église Saint François de Lausanne : un instrument de style italien construit en 1990 par les ateliers de Bartolomeo Formentelli, initialement accordé en mésotonique et réharmonisé en 2020 pour lui restituer un tempérament qui contribue à la saveur du récital. L’ample acoustique ambiante permet un généreux épanouissement de cette autoritaire sonorité. On regrettera toutefois que la notice ne précise pas les registrations ni même la disposition à la console, que l'on pourra consulter sur ce lien. Certains timbres sont en tout cas très repérables, tels que la gouaille des « tromboncini » dans la Gagliarda plage 11.
Après ses recherches sur l'improvisation au clavier dans la Rome baroque, l'ancien étudiant de la Haute École de Musique de Genève nous propose ici des interprétations strictes et idiomatiques, qui contribuent à enrichir en toute pertinence notre compréhension du corpus frescobaldien et de ses transversalités. On mentionnera finalement que le programme organistique nous réserve une surprise, volontaire ou involontaire. Après une longue minute de silence, la plage 18 enchaîne à 4’44 sur des versets de l’hymne Ave Maris Stella, non indiquée dans le tracklisting ! Il ne s'agit pas de la version incluse dans le second livre des Toccate, mais ce semble la mouture copiée par Leonardo Castellani, cotée F 14.35 dans le recensement effectué par le musicologue Alexander Silbiger.
Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10
Christophe Steyne