Retour des Musiche varie de Benedetto Ferrari par Philippe Jaroussky 

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Benedetto Ferrari (ca.1603-1681) : Musiche varie a voce sola, extraits. Philippe Jaroussky, contreténor ; Ensemble Artaserse. 2002. Notice en français et en anglais. Textes en italien, avec traduction française et anglaise. 64.07. La Musica LMU026.

En 2003, le label Ambroisie proposait un disque consacré au poète et compositeur Benedetto Ferrari, en l’occurrence des extraits de ses trois recueils Musiche varie a voce sola. Philippe Jaroussky (°1978) avait déjà participé à des enregistrements (notamment Catone in Utica de Vivaldi chez Dynamic ou des « anthems » de Purcell pour Eufoda), mais cette fois, il s’agissait du premier récital en solo du contreténor, réalisé avec Artaserse. Le concert inaugural donné au Théâtre du Palais-Royal à Paris en octobre 2002 par cet ensemble mettait précisément à l’honneur Ferrari. Près de vingt ans plus tard, ce disque est réédité par le label La Musica qui reproduit à l’identique la pochette de 2003. 

Né à Reggio Emilia au tout début du XVIIe siècle, Benedetto Ferrari, qui sera un grand virtuose du théorbe, étudie à Rome puis devient musicien à la Cour des Farnèse à Parme. Il est à Venise en 1637, écrit des livrets d’opéras dont celui de l’Andromeda de Francesco Manelli, premier mélodrame donné en public dans un théâtre, et se met à composer lui-même pour la scène. Il voyage dans toute l’Italie, aboutit à Vienne où il est au service de l’Empereur Ferdinand III de 1651 à 1653. On le trouve ensuite à Modène comme chef de chœur. Il décédera dans cette dernière cité. Parallèlement à son travail pour l’opéra, Ferrrari publie à Venise trois recueils de Musiche a voce sola en 1633, 1637 et 1641. Des extraits de ces trois livres constituent le présent programme, basé sur des textes de poètes du temps ou du compositeur lui-même, dont le caractère est moralisateur ou religieux, mais aussi attaché à l’exaltation amoureuse. 

Les pièces proposées, quatre pour le Livre I, quatre pour le Livre II et six pour le Livre III (pour un total de quatorze plages) consistent en lamentos et en arias strophiques. Ferrari possède une écriture harmonique riche et se préoccupe de l’expression, de la déclamation et des couleurs, dans une tessiture vocale large. Le texte de la notice, signé par Barbara Nestola, est le même que celui de l’édition originale parue chez Ambroisie. Il y est précisé que ces recueils illustrent parfaitement l’évolution stylistique de la monodie accompagnée, de l’aube du recitar cantando à la vocalité, plus spécifiquement mélodique et rythmiquement mieux définie, dominant le mélodrame du milieu du siècle. Ferrari s’attache de façon continue au genre de l’arioso, qu’il utilise selon les nécessités du texte, du style, du rythme ou de la structure.

On est heureux de retrouver Philippe Jaroussky en pleine jeunesse : son timbre séduit, son aigu répond à toutes les sollicitations, la virtuosité n’est pas prise en défaut. Il a l’art de ciseler les mots, qu’il s’agisse d’évoquer l’appel de l’amour (Udite, Amanti), ses douceurs et ses douleurs (Chi non sà come amor), ou la femme qui sait se révéler aussi bien féroce que caressante (Lingua di donna). Dans un tout autre registre, Jaroussky se révèle poignant dans la longue cantate spirituelle Queste pungenti spine, sur un poème d’Ottavio Orsucci, qui décrit les souffrances du Christ. Le contreténor manie l’émotion avec le sens de la mesure et avec une compréhension profonde de ce qu’elle développe par le biais de très beaux textes poétiques. Jaroussky donne parfois l’impression de résister à l’envie de pousser plus avant l’excès de sentiments, par pudeur ou pour éviter l’excès d’emphase. Mais l’équilibre est assuré par une finesse impeccable et une musicalité qui charme l’oreille et le cœur.

Cette réédition, qui est une belle initiative, est à mettre aussi à l’actif de l’excellent ensemble Artaserse où l’on retrouve Christine Plubeau à la viole de gambe, Claire Antonini au théorbe, Nanja Breedijk à la harpe et Yoko Nakamura au clavecin et à l’orgue. Depuis ses premiers pas en 2002, l’ensemble est devenu à géométrie variable et des réussites discographiques, notamment avec Philippe Jaroussky, ont jalonné son parcours. Les prémices de sa belle aventure font un retour appréciable et apprécié.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

   

 

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