Hybridation pour Aficionados
Passacaille de la Follie. L’Arpeggiata ; Philippe Jaroussky, contreténor ; Christina Pluhar, théorbe, direction, conception et arrangements. 2023. Texte de présentation en anglais, français, allemand - textes chantés en différentes langues. 62’55. Erato. 5054197221873
L’intitulé de ce récital Passacalle de la Follie ne correspond à aucune configuration musicale connue : Déjà, la danse « Passa calle » - c’est à dire, en passant dans les rues, en se promenant - remplace le terme de « Passacaille » adopté par l’usage, sans que l’on sache pourquoi. Ensuite, son association à la « Follie » avec deux « l » au lieu de la Folia reste tout aussi énigmatique.
En revanche, il rend compte de l’hybridation tentée par la théorbiste et directrice musicale, Christina Pluhar, dans ce nouvel enregistrement.
Au long d’une carrière prolifique hautement inventive, cette dernière n’a cessé de surprendre, recherchant inlassablement des confrontations roboratives entre le « premier baroque italien », les musiques traditionnelles ou encore le Jazz, en compagnie son ensemble « Arpeggiata » fondé dans les années 2000.
Parmi les jalons remarquables, citons les enregistrements consacrés à Kapsberger, Stefano Landi, Purcell ou encore la musique d’Amérique latine, « Los Pajaros perdidos » puis celle du mythe grec d’Orphée acclimatée sous l'Équateur, « Orfeo Chaman » (2016).
Le propos du présent disque ? Opérer la rencontre chimique entre l’« Air de Cour » français illustré par Pierre Guédron, Antoine Boësset, Etienne Mouliné et Michel Lambert et les strates hétéroclites précitées. Il en résulte un précipité indescriptible, au sens propre.
S’y ajoutent, instrumentalement, une « Plainte », pièce pour viole de gambe, plus tardive, de Louis Caix d’Hervelois, une improvisation sur les Folies d’Espagne d’après Robert de Visée et Marin Marais, sans compter une belle Chaconne (parfois confondue avec la Passacaille par les compositeurs eux-mêmes) de Robert de Visée superbement interprétée au théorbe par Josep Maria Marti Duran.
Certes le répertoire dit du « premier baroque » et du baroque tout court (Caix d’Hervelois est décédé en 1759) repose sur des bases suffisamment imprécises pour ouvrir à l’interprète-arrangeur-concepteur un espace d’invention aussi considérable que difficilement contestable.
La directrice musicale, Christina Pluhar, s’y multiplie (7 pièces sur 16, auxquelles s’ajoutent les partitions réalisées et les instrumentations). Outre les droits d’auteur qui en découlent, se pose la question de la mise en valeur des œuvres choisies. Or, ici, les compositeurs comme l’art du chant cher à Michel Lambert servent plus qu’ils ne sont servis.
Philippe Jaroussky restitue délicatement la poésie de l’air « Vos mépris chaque jour ». Moins heureuse, un peu étrange, la pièce « Ma bergère est tendre et fidèle » du même compositeur laisse perplexe. Mais, surtout, on peut s’interroger sur l’adéquation entre cette voix subtile au tracé linéaire musicalement précis et l’exubérance équatoriale des instrumentations.
Les admirateurs du « countertenor » français et de Christina Pluhar seront enchantés, les autres plus dubitatifs.
Son 8 – Livret 6 – Répertoire 8 – Interprétation 8
Bénédicte Palaux Simonnet