Robert Levin complète son intégrale des concertos de Mozart, entamée il y a trente ans

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto n° 7 pour deux pianos et orchestre en fa majeur K 242 ; Mouvement de concerto pour piano, violon et orchestre en ré majeur KAnh56, fragment complété par Robert Levin ; Concerto n° 10 pour deux pianos et orchestre en mi bémol majeur K. 365. Robert Levin et Ya-Fei Chuang, fortepiano ; Bojan Čičić, violon ; Academy of Ancient Music, direction Laurence Cummings. 2022. Notice en anglais. 60’ 48’’. AAM043.

En 1994, le pianiste américain Robert Levin entamait, avec l’Academy of Ancient Music, dirigée par Christopher Hogwood, une intégrale des concertos de Mozart sur pianoforte. Les volumes se sont succédé au fil des années, sous étiquette Oiseau-Lyre et Decca (huit albums, jusqu’en 2001). Une petite vingtaine de concertos avaient alors été gravés. Une longue interruption pour diverses raisons s’ensuivit, la disparition de Christopher Hogwood en 2014, à l’âge de 73 ans, venant de plus empêcher le projet commun d’arriver à son terme. L’idée de l’intégrale a cependant continué de germer lorsque l’Academy of Ancient Music a créé son propre label pour explorer les répertoires baroque et classique. Cinq parutions vont compléter la série inachevée ; elles s’étaleront sur les deux années 2023 et 2024, portant à treize numéros l’ensemble des disques de ce massif mozartien. L’Anglais Laurence Cummings (°1968) a pris le relais de Hogwood pour la direction. Quant à la présentation de ces cinq publications complémentaires, elle est placée sous le signe des tableaux de Paul Klee (1879-1940), né dans une famille de musiciens et lui-même violoniste de qualité. Un choix judicieux, quand on sait à quel point la musique occupa une place essentielle dans l’existence et la créativité du peintre. Klee était aussi une passion de Christopher Hogwood, ce qui est une manière de rendre un hommage posthume à ce dernier.

Le présent album, onzième volume de l’intégrale, a été enregistré du 5 au 10 juillet 2022 dans un édifice religieux anglican du Grand Londres, St Jude on the Hill. Né à New York, où il a étudié, avant de se rendre à Paris pour parfaire sa formation auprès de Nadia Boulanger, puis de conclure à Harvard, Robert Levin (°1947) est compositeur, pianiste et théoricien de Mozart. Il a écrit de nombreux articles et études à son sujet, et reconstitué ou complété plusieurs de ses partitions inachevées. Il a aussi gravé une superbe intégrale des sonates pour pianoforte, parue récemment chez ECM. Au fil des parutions du projet des concertos initié en 1994, la qualité du jeu de Levin, plein d’inventivité et de souplesse, et son style irréprochable, y compris dans des cadences souvent improvisées, ont été soulignés. De même que la connivence avec Christopher Hogwood, dont l’orchestre inspiré s’est révélé fin, racé et raffiné. C’est donc avec un appétit en éveil que l’on constate que les mêmes qualités se perpétuent dans le présent album, qui concerne les concertos pour deux pianos, le n° 7, prévu pour trois instruments, joué ici dans la transcription par Mozart lui-même pour deux instruments, et le n° 10. La partenaire de Levin est son épouse, Ya-Fei Chuang (°1970), originaire de Taïwan, qui a étudié en Allemagne et enseigne actuellement au Mozarteum de Salzbourg. 

La complicité entre les époux est évidente dans le K. 242 inventif sur le plan mélodique et élaboré d’une manière équilibrée dans les échanges, donnant, à ce qui pourrait n’apparaître que comme un divertissement, une couleur chaleureuse. La délicatesse est un maître mot que les répliques des pianoforte Andreas Stein d’Augsburg (1786), réalisées par la maison Maene de Ruiselede, servent avec une belle transparence. Dans le K 365, l’équilibre se renforce de façon affirmée, ce dont attestent un Andante central empreint de mélancolie et un Rondo final virevoltant et enthousiasmant. Tout au long de ce parcours où l’on pourrait rapprocher l’expressivité chaleureuse, sans cesse présente, de l’image d’un travail de haute finition aux fines dentelures, l’Academy of Ancient Music, en petite formation, déploie une activité tout à fait en phase avec la lumière offerte par le couple Levin/Chuang, le chef Laurence Cummings soignant les nuances pour en faire jaillir toute la subtilité.

Le programme contient aussi un arrangement d’un mouvement d’un concerto pour piano, violon et orchestre de 1778, dont le fragment a été complété par Robert Levin. Ceci permet au premier violon de l’orchestre, le Croate Bojan Čičić, en partenariat avec Robert Levin, de faire entendre, dans cette pièce qui a un esprit de sérénade, sa belle sonorité. 

Cette intégrale en voie de finition, poursuivie sous de si bons auspices malgré son interruption, est une initiative dont on applaudit l’achèvement tout proche. L’objet est soigné, avec de jolies illustrations en couleurs et quelques textes d’accompagnement intéressants, qui ne sont hélas réservés qu’au seul public anglophone.

Son : 8,5  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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