Rodelinda en vidéo

par

Georg Friedrich Haendel (1685-1769) :  Rodelinda. Jakub Józef Orlínski, Jeanine De Bique, Tim Mead, Benjamin Hulett, Avery Amereau, Andrea Mastroni, Jean Bellorini, Le Concert d'Astrée,Emmanuele Haïm, - Mise en scène, scénographie et lumières, Jean Bellorini - Opéra de Lille 2019 - DVD Erato 542032

Écrit pour ses chanteurs habituels Francesca Cuzzoni, Francesco Borosini, Andrea Pacini et les castrats Senesino et Andrea Pacini, Händel signe avec Rodelinda le dernier chef d'oeuvre de sa trilogie miraculeuse de 1725, après Giulio Cesare et Tamerlano. Les protagonistes de ce merveilleux spectacle qui nous propose l'Opéra de Lille, en coproduction avec celle de Santiago du Chili, sont de jeunes chanteurs qui tournent autour de la trentaine. Il n'est pas facile pour un directeur de théâtre de parier sur des noms peu connus avec trois prises de rôle (la basse italienne Andrea Mastroni, le contralto américain Avery Amereau et le ténor anglais Benjamin Hulett). Cependant, ils s'avèrent être des artistes de tout premier plan. Un “duel” entre deux des contre-ténors les plus saillants de leur génération, l'Anglais Tim Mead (Bertarido) et le Polonais Jakub Józef Orlínski, (Unulfo) est un des aspects les plus séduisants de cette production.

Jeanine de Bique, soprano originaire de Trinidad-Tobago, chante majestueusement le rôle-titre. Son timbre doux, sombre et corsé mais avec des aigus brillants ou éthérés à souhait, ou avec des sons filés saisissants qui épaulent une présence scénique qui rayonne et nous touche très vite. Elle est capable de nous émouvoir aux larmes dans le duo Io t'abbraccio ou dans son dernier air Se'l moi duol. Le contralto américain Avery Amereau (Eduige) compense une certaine linéarité vocale par un instrument d'une beauté tellement exceptionnelle par la densité de son timbre et par son aptitude à intégrer élégamment la colorature dans la phrase musicale, qu'elle nous fait oublier que son chant pourrait développer encore une certaine sophistication. Mais il serait déplacé de lui en vouloir, compte tenu de sa fraîcheur dans le métier et de son remarquable sens dramatique.

Le contre-ténor anglais Tim Mead (Bertarido) campe un personnage sans faille. La voix est éclatante, sa colorature spectaculaire, son sens dramatique stupéfiant. Alfred Deller a connu bien d'émules qui ont donné sa carte de noblesse à un art aussi particulier que cette émission vocale passablement artificielle. Bowman, Jacobs, Jaroussky, Assawa ou Cencic ont porté cet art bien loin. Mais là, on assiste à un paroxysme dans l'exhibition technique, dans l'approfondissement des caractères et aussi à un deuxième spectacle à l'intérieur de la scène : impossible de départager leur duel, tellement Jakub Orliński (Unulfo), chanteur à la large formation musicale mais aussi champion de « break-dance », nous comble autant par son aisance vocale que par son inhabituelle performance physique, parfaite pour un rôle quelque peu bouffon. Benjamin Hulett (Grimoaldo), brillant ténor anglais, est parfaitement à l'aise dans tous les poncifs que Händel attribue au félon usurpateur. J'avoue que, malgré l'éclat de son travail, il m'a été difficile d'être sensible à l'artiste avant la fin du spectacle où son renoncement rend le personnage aimable. Qui sait si Händel lui-même ne prétendait nous rendre ce rôle antipathique... La basse italienne Andrea Mastroni, enfin, s'en sort avec brio de son personnage de traître/intrigant : une voix noble et brillante et un travail scénique impeccable.

Haïm établit dès l'ouverture les éléments essentiels de sa direction : clarté, étalement parfaitement diversifié des plans sonores, prononciation détaillée du discours musical et soin de la qualité sonore. Le Concert d’Astrée brille dans la discrétion, ses musiciens savent se mettre en valeur sans tomber dans l'exhibition, avec un professionnalisme plus que remarquable. Leur sonorité est riche, de toute beauté, leur engagement sans faille. Bienvenue aussi au travail stylistique sur les cadences, probablement signées ou suggérées par Haïm : ce sont des moments intenses, souvent dans l'introspection, où un excès de virtuosité aurait nui à l'authenticité musicale.

La proposition scénique de Jean Bellorini est séduisante : l'ensemble est vu à travers du regard enfantin de Flavio, fils de Rodelinda et Bertarido, joué ici par Aminata Diouaré. Et aussi un échec de Händel dans son opéra homonyme de 1723. Racine, dans Andromaque, avait utilisé un procédé scénique pareil, Corneille est l'auteur originaire de cette histoire lombarde. On peut dire que Bellorini est à l'aise dans ses classiques ! Mais il réussit surtout un spectacle de grande beauté visuelle : tant les costumes de Macha Makeïeff, que les jeux de lumière de Luc Muscille ou les décors de Véronique Chazal et de Bellorini lui-même tracent des tableaux vivants qui ajoutent perspectives, lumières et ombres au récit de cette intrigue complexe et invraisemblable, genre qu'adorait le public baroque.

Son : 9  - Livret : 7  - Répertoire : 9 - Interprétation 9

Xavier Rivera

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.