Sibelius par Rouvali : ampleur et contemplation

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Jean SIBELIUS (1865-1957) : Symphonie n° 2 op. 43 ; Le Roi Christian II, suite op. 27. Orchestre Symphonique de Götteborg, direction Santtu-Matias Rouvali. 2019. Livret en anglais, français et allemand. 70.43. Alpha 574.

Voici déjà plus d’un an, le Finlandais Santtu-Matias Rouvali, âgé de 34 ans, chef principal de l’Orchestre Symphonique de Göteborg, du Philharmonique de Tampere et chef principal désigné du Philharmonia Orchestra, a entamé une intégrale des symphonies de Jean Sibelius par la magistrale Première, l’opus 39, couplée avec le poème symphonique En Saga (Alpha 440) dont l’interprétation a été saluée avec chaleur par la critique. Et c’est avec impatience que l’on attendait la suite du cycle, dont le deuxième volume vient de paraître. 

Lorsqu’il écrit la Symphonie n° 1, créée en 1899, Sibelius compte déjà son actif des partitions marquantes comme Finlandia, En Saga, Karélia ou la fresque orchestrale et chorale Kullervo, mais il s’inscrit cette fois dans la forme musicale pure, avec une réussite incontestable qui va se confirmer dans la Symphonie n° 2 de 1902, avec la belle facture de ses thèmes, le ton éloquent qui en émane, la noblesse thématique et l’orchestration somptueuse. On a beaucoup glosé autour de cette page, lui conférant notamment une dimension politique de la lutte de la Finlande pour se libérer de l’emprise russe. L’intéressante notice du livret rappelle qu’un ancien chef du Philharmonique d’Helsinki, Robert Kajanus (1856-1933), qui en a laissé un enregistrement de référence en mai 1930, apprécié par le compositeur (disponible dans un coffret Warner), considérait que « l’œuvre était censée galvaniser le programme de résistance passive auquel Sibelius lui-même prenait part ». Mais le même texte précise avec raison que les motivations étaient plutôt d’ordre privé, le compositeur ayant été frappé par des drames familiaux, dont le décès de sa fille cadette emportée par le typhus, et le suicide de sa belle-sœur. Le chagrin le fit voyager en Italie en 1901 avec sa famille pour fuir l’hiver rigoureux de son pays et s’installer à Rapallo pendant quelques mois. On lira à cet égard les belles pages que Richard Millet consacre à cette période douloureuse et à la Symphonie n° 2 dans son Sibelius. Les cygnes et le silence, (Paris, Gallimard, 2014, p. 77-81). Cet auteur résume avec finesse la portée de l’Allegretto initial, au climat pastoral et foisonnant, de l’Andante, « sombre, spectral et conflictuel », du bref et violent Vivacissimo qui s’enchaîne au vaste Allegro moderato final, « dont le thème principal devient un motif récurrent sur l’obsédante cadence en demi-ton des contrebasses », débouchant sur une conclusion monumentale. Ceux qui ont entendu cette symphonie en concert savent quel impact émotionnel elle peut provoquer.

Comme dans la Symphonie n° 1 (captée du 28 mai au 1er juin 2018, la Deuxième lui fait suite en juin 2019), Rouvali emmène le Symphonique de Götteborg à l’assaut d’une vaste fresque dont il définit avec soin l’équilibre des timbres, la narration et le rythme, avec un grand raffinement mélodique et un élan tumultueux, marqués par des phases que l’on pourrait qualifier de contemplatives, pour mieux en relancer l’intensité. C’est ici qu’intervient la conception personnelle qu’un chef peut avoir de cette aventure dont il ne faut pas nier l’énergie substantielle ni le côté extatique qu’elle peut prendre tour à tour. Les tempi choisis peuvent être significatifs. Alors que Kajanus avec le Royal Philharmonic ou Berglund avec le Philharmonique d’Helsinki, emportent les quatre mouvements en moins de quarante minutes dans une sorte de fureur tourbillonnaire, Karajan avec Berlin, Barbirolli avec le Hallé Orchestra ou Bernstein avec Vienne se projettent autour ou au-delà des quarante-cinq minutes, ciselant la grandeur plastique et la puissance dramatique avec un hédonisme qui confine parfois à l’extase. Rouvali s’inscrit plutôt dans cette ligne-là, avec un raffinement qui subjugue et qui fait jaillir des détails de l’orchestration (bois, cuivres, timbales) que l’on redécouvre avec émerveillement. La beauté intrinsèque de la partition laisse le choix à celui qui l’écoute : qu’il soit attiré par l’immédiateté de la démarche, ou par la magnificence séductrice, il est happé par l’inspiration de Sibelius. On l’aura compris : la version de Rouvali est une grande réussite qui s’inscrit à côté de références d’après l’an 2000 comme celles d’Osmo Vänskä, Paavo Järvi ou Mariss Jansons (avec le Concertgebouw en 2014). 

Le programme est complété par la suite pour orchestre Le Roi Christian II opus 27. Il s’agit d’une des onze musiques de scène composées par Sibelius, cette fois pour la pièce d’Adolf Paul (1863-1943) qui se situe au XVIe siècle, raconte la chute sanglante du roi de Scandinavie et fut créée en février 1898 au Théâtre d’Helsinki. Le compositeur en tira une suite en cinq mouvements, jouée à Leipzig dès 1899, puis aux Etats-Unis et à Londres. Populaire, cette suite comporte notamment une Elégie qui fait la part belle à l’expressivité des violoncelles. Avant elle, on entend une scène d’amour chaleureuse sous la forme d’un Nocturne. Les trois derniers mouvements proposent une Musette au cours de laquelle deux clarinettes et deux bassons évoquent des chalumeaux et des cornemuses dont rêvait le dramaturge, une Sérénade et une Ballade. La partition est certes attractive, mais Sibelius se révélera plus inspiré lorsqu’il écrira d’autres musiques de scène, comme La Tempête.

L’Orchestre Symphonique de Göteborg a accueilli à sa tête par le passé des compositeurs comme Stenhammar, Nielsen ou Sibelius, mais aussi Furtwängler, Monteux ou Karajan. Neeme Järvi l’a longuement dirigé, de 1982 à 2004, puis ce fut le tour de Gustavo Dudamel (2007-2012). Cette remarquable formation répond aux sollicitations de Rouvali, son patron depuis 2017, avec un enthousiasme communicatif. Ses pupitres se révèlent de grande qualité (superbes bois, mais tous sont à féliciter) ; on saluera l’initiative d’Alpha de donner la liste complète des noms des musiciens qui composent cette phalange que l’on attend désormais, avec le même chef, dans les autres symphonies de cette intégrale qui s’annonce passionnante.

Son : 9   Livret : 9   Répertoire :   9 Interprétation : 9

Jean Lacroix   

  

 

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