Siegfried : Le Ring se poursuit à l’Opéra Royal de Versailles
De Louis XIV à Louis II de Bavière, il n’y a jamais que 12 numéros d’écart. Portée par une solide distribution, nonobstant un protagoniste éponyme légèrement en deçà, la troupe de l’Opéra de la Sarre continue de livrer une Tétralogie de globalement bonne facture.
Sur scène, l’on retrouve l’orchestre du Théâtre national de la Sarre sous la baguette de son directeur musical Sébastien Rouland, dans une disposition similaire à celle des deux derniers épisodes. L’effectif demeure certes réduit — toutes proportions gardées pour un Wagner : comptez tout de même quatre contrebasses et six violoncelles —, mais cela a pour avantage de donner une lisibilité accrue à chaque pupitre et donc de l’intrication des différents leitmotivs. Au surplus, la disposition des cuivres et percussions en fond de scène, sans conque, permet d’en atténuer le mordant, procurant par là même un rendu non sans une certaine similarité avec celui du Festspielhaus.
Dommage que l’ouverture, bien que correcte, manque de cohésion intra-pupitre dans la première phrase des bassons, et que les cors se caractérisent dans la leur par une précocité excessive ; le tout sans jamais retrouver le relief rendu possible par le long crescendo du Vorspiel. Dans le final du 1er acte, l’on ne peut que déplorer le placement de l’enclume hors scène, complètement étouffée, nous privant ainsi d’un des passages les plus roboratifs de la partition, avec un rendu global encore une fois bridé. Dans le troisième acte, la direction conserve cette souplesse caractéristique depuis maintenant trois ans, mais offre un rendu trop souvent émoussé, bien que quelques passages, à l’image de l’éveil de Brünnhilde, permettent à la phalange de prendre son envol.
En Siegfried, Tilmann Unger concentre les principales réserves que l’on pourrait avoir concernant cette distribution. La projection est idéalement calibrée au vu des dimensions de l’auditorium, le vibrato intense, et l’on apprécie également la bonne clarté des voyelles. L’aigu final de la vocalise initiale est trop difficile, bien que les suivants deviennent plus aisés. La présence scénique est remarquée, notamment par l’utilisation des regards. La projection est plus ardue dans l’aigu de l’ambitus. La mise en place rythmique dans les sept dernières minutes du 1er acte laisse à désirer. Ces quelques réserves se lèvent durant le deuxième acte, mais durant la seconde partie du troisième, les limites intrinsèques et la fatigue extrinsèque se refont sentir, notamment par contraste avec la Brünnhilde d’Aile Asszonyi, aux allures d’archétype wagnérien : à la projection surpuissante — y compris dans les phrases longues —, à la tessiture large, au timbre rond et au vibrato très ample, elle aborde le moindre piano comme s’il s’agissait d’un mezzo, éclipsant donc logiquement le ténor exsangue. De même, les murmures de la forêt témoignent d’une remarquable symbiose entre les différents pupitres de cordes.
Le deuxième acte fut également, en revanche, le témoin d’un dialogue comme peu d’opéras en version de concert en offrent, porté par trois interprétations aussi solides qu’homogènes, tirant intelligemment parti de l’intimisme de cet écrin qu’est l’Opéra Royal.
En Mime, l’on assistait au retour du truculent Paul McNamara, dont la bonne articulation, la clarté des voyelles — y compris dans les exclamations — ainsi que la tessiture dramatique furent toutes au service d’un parti pris dramaturgique des plus bienvenus. La longueur de souffle, nonobstant les facéties du phrasé, est également de fort bonne facture.
En Wanderer, Simon Bailey livre un rendu impressionnant de virtuosité, tant dans la musicalité que dans la longueur des phrasés. L’articulation impeccable ainsi que la mise en place rythmique excellente viennent parachever une prestation des plus remarquées ; et si le timbre paraîtrait presque trop léger pour le rôle dans une salle plus vaste, l’évocation des géants permet de dévoiler des harmoniques aigus proéminents et logiquement particulièrement remarqués. Finalement, Hiroshi Matsui retrouve le rôle de Fafner, auquel il prête à nouveau son ample vibrato, son timbre large et sa tessiture lyrique. La projection dans l’extrême grave de l’ambitus demeure déconcertante, et l’expressivité de ses dernières tirades est également fort applaudie.
Les rôles féminins sont également à la fête, avec l’Erda de la jeune Melissa Zgouridi, que l’on suivra désormais avec attention. Largesse de tessiture ainsi que rondeur de timbre viennent compléter une fort bonne projection sur l’ensemble de la tessiture, quand bien même le timbre se voile légèrement dans les graves. L’articulation et la musicalité sur les phrases longues sont tout autant remarquées.
Finalement, le Stimme des Waldvogels de Bettina Maria Bauer déploie un timbre légèrement voilé et une tessiture lyrique, sertis d’une bonne mise en place rythmique et d’un vibrato particulièrement ample, mais tend à attaquer certaines notes fortes et aiguës par en dessous.
Versailles, Opéra Royal, 25 mai 2025
Crédits photographiques : Aile Asszonyi / Marie Cécile Thijs