Brio et impulsivité pour les symphonies londoniennes de Ferdinand Ries

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Ferdinand Ries (1784-1838) : Symphonie no 4 en fa majeur Op. 110. Symphonie no 5 en ré mineur Op. 112. Tapiola Sinfonietta, Janne Nisonen. Mars 2024. Livret en anglais, allemand. 59’04’’. Ondine ODE 1454-2

Ferdinand Ries reçut l’enseignement de Beethoven auquel son père, Franz Anton, avait donné des leçons de violon. Un cadeau aussi intimidant qu’empoisonné d’être formé par un tel génie, et de se voir suspecté d’une admiration trop influençable tout en restant bien en-deçà de l’étalon de comparaison. « Si les œuvres d’autres compositeurs sont trop proches de celles de Beethoven, on ne les accuse que trop facilement d’être des imitations, et si elles s’en éloignent, elles n’intéressent généralement pas » : ainsi un critique musical résuma-t-il le dilemme de l’époque, sous le faix tutélaire du Maître de Bonn. Hormis un hommage posthume venant de Schumann, lui-même très relativiste, la disparition de Ries en 1838 ne souleva guère d’émoi parmi le public, et guère plus dans les nécrologies des grandes gazettes musicales. Et pourtant l’épigone connut une certaine gloire outre-Manche, pendant la décennie qui suivit son arrivée à Londres en avril 1813.

Là ses talents de pianistes furent salués autant que sa plume de compositeur. Il prit la direction de la Philharmonic Society pendant six années, pour l’abandonner au prétexte qu’elle ne programmait pas assez ses œuvres. Outre quelques opéras, il se distingua surtout dans le répertoire chambriste (dont vingt-six quatuors à cordes), concertant, et orchestral. On lui doit huit symphonies, qui avaient bénéficié d’un exemplaire enregistrement par Howard Griffiths et le Zürcher Kammerorchester (CPO, 1997-2002). À son tour, Janne Nisonen semble s’embarquer pour une intégrale de ce corpus. Après un premier volume, commenté par Jean Lacroix, cette nouvelle parution se consacre aux deux symphonies médianes. 

Bien que désignée comme cinquième dans le catalogue de l’auteur, celle en ré mineur (conçue en avril-octobre 1813) précède la quatrième, également publiée en 1823, et fut la première écrite pour la capitale britannique. On y observera l’éviction des clarinettes, indisponibles au sein de l’orchestre anglais, mais l’emploi de trois trombones, instrument qui y était en faveur –voir vingt ans auparavant la nomenclature des symphonies d’Ignace Pleyel pour le Professional Concert. Datée de 1818, à l’intention de la même phalange, la symphonie no 4 cultive encore la manière beethovénienne (le sautillant Scherzo peut rappeler les ébats de celui de la Septième opus 92, « apothéose de la danse » selon Richard Wagner).

L’orchestre scandinave aiguise des lignes fines et élancées, aère une palette plus frugale que son homologue zurichois, contient le vibrato des cordes, darde le trait, assèche les textures. Un zèle très « HIP ». Howard Griffiths adoptait des tempi un peu moins serrés, laissait respirer les phrases, séduisait par sa spirituelle affabilité dans l’Andantino, le Larghetto. Son jeune confrère instille une direction certes aussi précise, mais nerveuse et impulsive qui paraît parfois précipitée à force d’exacerber l’impact et la sensation de l’instant. Le drame vit intensément, exalte abruptement le rythme (Allegro de l’opus 112). Cette interprétation incisive et contrastée projette une lumière crue sur ces deux symphonies, qui ne doublonnera pas le portrait moins radical, plus équilibré gravé pour le label allemand. Impétuosité pour l’impétrant finlandais, chair et esprit pour l’aîné : deux façons de caractériser ces œuvres et d’en compléter notre perception. La discographie clairsemée de Ries méritait bien cet autre regard, autoritaire et avide de brio. 

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7 – Interprétation : 9

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