Sietzen dompte Dorman et soumet l’orchestre dans Rautavaara
« Incantations ». Avner DORMAN (né en 1975), Frozen in Time. Einojuhani RAUTAVAARA (1928-2016), Incantations. Christoph SIETZEN, percussion. Orchestre Symphonique National de Roumanie, dir. Christian MANDEAL 2018-50’35"-Textes de présentation en anglais et allemand-Sony Classical 19075821542
Incantations d’Einojuhani Rautavaara, avec ses cantilènes passionnées évoluant à intervalle de seconde, est l’une des partitions caractéristiques de l’esthétique néoromantique du compositeur finlandais. Le premier mouvement voit s’affronter soliste et ensemble instrumental dans une joute impitoyable dont aucun des protagonistes ne devrait sortir vainqueur. Un dialogue s’instaure dans le mouvement médian, au lyrisme emblématique de Rautavaara. La tension accumulée dans les deux premiers volets de l’œuvre trouve un exutoire dans le finale, dans lequel le compositeur voit une danse chamanique, expliquant à elle seule le titre de la composition.
Le percussionniste écossais Colin Currie, qui assura la création de ces Incantations en octobre 2009 aux côtés du London Philharmonic dirigé par l’infatigable Yannick Nézet-Séguin, participa étroitement à l’élaboration de l’œuvre. Il en a laissé un enregistrement chez Ondine (ODE 1178-2) qui, pour estimable qu’il soit, trahit quelques défauts dont le moindre n’est pas que le soliste s’y trouve fréquemment submergé sous la chape orchestrale. En l’occurrence, c’est plutôt l’inverse qui se produit. En effet, le choix des preneurs de son a manifestement été de donner, sans concession, l’avantage au soliste. La fougue juvénile et la virtuosité flamboyante du multi-percussionniste luxembourgeois Christoph Sietzen peuvent ainsi briller de mille feux au-dessus d’un orchestre qui se perd quelquefois dans les masses nuageuses. Sietzen domine de bout en bout la pâte sonore, avec une assurance et une justesse infaillibles qui témoignent d’une impressionnante maturité et d’une maîtrise technique à couper le souffle, cependant que l’orchestre fait profil bas. Le finale de l’œuvre de Rautavaara, notamment, fait les frais de cette balance défectueuse: au lieu de se conclure sur un coup d’éclat comme l’exige la partition, elle s’achève en queue de poisson, sur fond de désert orchestral.
Rien de tel ne se produit, heureusement, dans Frozen in time du compositeur israélien Avner Dorman que Sietzen a inscrit à son répertoire depuis bientôt cinq ans. Egalement post-moderne et facile d’accès, cette œuvre divertissante est d’une esthétique pourtant fort différente de celle de Rautavaara. Les instruments qu’est appelé à manier le soliste y sont plus variés. Le premier mouvement, « Indoafrica », sans pour autant se souvenir de Messiaen, repose sur les talas, modes et échelles du sud de l’Inde que l’on retrouve également dans certaines traditions musicales ouest-africaines. Les déferlantes rythmiques d’une puissance tellurique qui le dominent lui confèrent un caractère tribal. Le troisième mouvement, « The Americas », lui fait pendant avec ses motifs non moins enjoués évoquant jazz, big bands, samba et bossa nova. Dans l’élégiaque second mouvement, le soliste délaisse sans surprise les peaux et le marimba au profit du vibraphone et du glockenspiel.
Lauréat des ICMA 2018 dans la catégorie « Jeunes Artistes », Christoph Sietzen, que Crescendo avait pu rencontrer en mai dernier lors de son passage à Bozar, confirme ici son statut d’étoile montante. Peut-être vaudrait-il mieux, d’ailleurs, parler d’étoile filante, puisque, à vrai dire, son jeu étincelant, vif et coloré (en un mot: somptueux) et ses lectures intelligentes lui garantissent d’ores et déjà une place de choix au firmament des talents les plus remarquables de sa génération.
Olivier Vrins
Son 7 – Livret 6 – Répertoire 8 – Interprétation 9