Interviews
Le chef d’orchestre Osmo Vänskä est en passe de terminer une intégrale au pupitre de l’Orchestre du Minnesota dont il est le directeur musical sortant. Cette intégrale, que nous suivons avec grande attention sur Crescendo Magazine, marque notre époque par la grande hauteur de vue du chef et l’excellence instrumentale de son orchestre. Rencontre avec l’un des plus grands chefs de notre époque, l’un de ceux aptes à renouveler l’approche des oeuvres qu’il dirige.
Que représente Gustav Mahler pour vous ?
Mahler était un merveilleux compositeur ainsi qu'un grand chef d'orchestre et cette combinaison crée un ensemble unique et spécial.
Qu'est-ce qui vous a poussé à enregistrer l'intégrale des symphonies de Mahler ?
J'ai toujours admiré la musique de Mahler et j'aime les défis ! Sa musique est un test énorme pour l'orchestre et le chef d'orchestre, et on sort de chaque symphonie avec un immense sentiment d'accomplissement.
Vous avez enregistré la Symphonie n°10 dans la version de Deryck Cooke. Certains chefs d'orchestre n'aiment pas diriger cette œuvre au-delà de l'Adagio terminé par Mahler. Qu'est-ce qui vous séduit dans cette symphonie ?
Pour moi, la Symphonie n°10 est pleine de musique de Mahler et rien d'autre. Nous savons qu'Alma Mahler n'était pas d'accord avec l'idée de compléter les ébauches et de proposer une édition pour le concert. Cette version Deryck Cooke a été enregistrée au Royaume-Uni, et les personnes à l'origine du projet se sont rendues à New York pour présenter l'enregistrement à Alma, qui n'aimait toujours pas l'idée mais qui a finalement accepté de l'écouter. Lorsque la musique s'est achevée, Alma a voulu la réécouter immédiatement. Le fait de savoir qu'elle avait finalement apprécié la version de Cooke m'a donné envie de l'enregistrer.
Le premier enregistrement de cette intégrale (Symphonie n° 5) a été réalisé en 2016. À l'heure actuelle, seules les Symphonies n°3 et n°8 manquent à l'appel pour clôturer le projet. L'enregistrement sur une longue période était-il prévu dès le départ ou s'agissait-il d'une coïncidence de calendrier ?
Le plan initial était de jouer une ou deux symphonies de Mahler par saison, suivies d'une semaine d'enregistrement. Bien sûr, la pandémie a quelque peu contrarié ce plan, mais nous avons réussi à enregistrer la toute dernière symphonie (n° 8) lors de mes derniers concerts d'abonnement en tant que directeur musical, ce qui était très significatif.
L’excellent chef d’orchestre Markus Poschner est le maître d'œuvre d’un projet d’intégrale des symphonies de Bruckner au pupitre de l’Orchestre Bruckner de Linz et de celui radio symphonique ORF de Vienne. Cette somme éditée par le label Capriccio proposera toutes les versions des symphonies, soit 18 albums. Crescendo Magazine qui suit avec fidélité et intérêt ce travail a eu envie d’en savoir plus et a rencontré le maestro.
Que représente Bruckner pour vous ? Quelle place occupe-t-il, selon vous, dans l'histoire de la musique ?
Bruckner est sans aucun doute l'un des génies les plus importants du XIXe siècle, voire de tous les temps. Il a poussé tous les paramètres musicaux jusqu'à leurs limites et bien au-delà, en particulier la fonction du temps dans la musique. Toute sa vie, il a recherché la symphonie parfaite, archétype et image musicale d'un ordre mondial universel. Bruckner a créé des symphonies pour exprimer l'inimaginable. Il était le médiateur idéal entre la tradition et l'avant-garde et était très en avance sur son temps.
Qu'est-ce qui vous a poussé à relever le défi d'enregistrer toutes les versions des symphonies de Bruckner, ce qui représente une aventure de 18 albums ?
Dans notre édition, il ne s'agit pas seulement de l'exhaustivité de toutes les versions dans un seul coffret CD, mais surtout de la manière extraordinaire dont nous jouons sa musique. Aujourd'hui encore, un nombre incroyable de malentendus et d'idées reçues sont associés à la musique de Bruckner, notamment en ce qui concerne le tempo, le phrasé et l'équilibre sonore.
Comme auparavant, ses symphonies sont souvent jouées sur un mode pseudo-religieux écrasant. Le monde de Bruckner est tout simplement assimilé à celui de Richard Wagner. En réalité, il a créé son propre univers, une vision unique et intime du monde de la symphonie. Ses racines profondes dans le classicisme viennois et la musique folklorique de Haute-Autriche sont complètement oubliées. En fait, cette nouvelle approche d'une interprétation plus authentique a été notre principale motivation pour ce cycle symphonique exceptionnel.