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Garder la voix légère : le secret de la soprano Eleonora Buratto

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Fraîchement auréolée de son succès personnel dans le rôle d'Antonia dans les Contes d'Hoffmann à La Scala de Milan, Eleonora Buratto vit un moment particulièrement heureux dans sa carrière : la soprano de Mantoue, en effet, a enchaîné ces dernières années une série de débuts dans un répertoire très large, allant de l'Otello de Rossini à Madama Butterfly de Puccini, en passant par ce Verdi qui, entre Ernani et Don Carlo, apparaît de plus en plus comme la pierre angulaire de sa carrière actuelle et future. Nicola Cattò (membre du jury ICMA Musica) a rencontré Eleonora Buratto le lendemain de la fin des représentations de l'opéra d'Offenbach Les Contes d'Hoffmann et juste avant son départ pour New York, où elle a chanté Mimì dans une série de représentations de la Bohème : l'occasion était (aussi) de parler de l'enregistrement de la Messa di gloria de Rossini, dirigé par Antonio Pappano et primé d’un ICMA 2023. 

Vous fêterez l'année prochaine vos 15 ans de carrière, pourtant du fait de l'ampleur de votre répertoire et du prestige des théâtres dans lesquels vous chantez, il semble que beaucoup d'autres se soient écoulés : est-il déjà temps de faire un premier bilan ?

Est-ce vrai ? je ne m'en étais pas rendu compte ! En fait oui, un premier bilan est aussi utile pour se remémorer les jalons que vous avez franchis, comment vous les avez atteints, s'il y a eu des erreurs, pour comprendre si vous auriez pu mieux faire pour ne pas répéter, à l'avenir, des erreurs de jugement.

Comme beaucoup de chanteurs, vous avez commencé par un répertoire plus léger, pour ensuite virer vers celui de l'opéra pur : mais Rossini est toujours très présent. Comment votre approche a-t-elle changé techniquement ?

En fait, j'aurais aimé que Rossini fasse partie de ma carrière même au début : un rôle parmi tant d'autres que je n'ai jamais pu chanter est Fiorilla du Turco in Italia. En plus des productions de concert (je pense au Stabat Mater et à la Petite messe solennelle). Heureusement, des propositions me sont venues pour de grands opéras comme Moïse et Pharaon ou bien Otello, chanté à Pesaro : avec une technique et un timing corrects entre les productions , il n'est pas impossible de chanter à la fois Butterfly et Desdémone. Il faut avoir une bonne période de repos. L'an dernier, après Butterfly, j'ai chanté la Bohème et surtout l'Alice de Falstaff, ce qui m'a permis de retrouver cette agilité, cette légèreté qui sont vitales chez Rossini. Aussi parce que je ne chante pas Cio-Cio-San en alourdissant la voix, mais en la respectant, en jouant avec les couleurs, en essayant de différencier les trois actes en insistant sur l'évolution de l'enfant naïf du premier à la tragédie finale. C'est, à mon avis, une façon d'assurer la santé de la voix. Mais la technique passe toujours en premier !

Aussi parce que, ensuite, ça dépend quel Rossini vous chantez : Desdémone est un rôle d’Isabelle Colbran, qui me semble tout à fait adapté à votre voix actuelle… 

Les rôles que je peux garder au répertoire ne sont que ça. Et c'est un grand plaisir de les chanter. Maintenant j'ai en tête deux titres que j'ai très envie d'aborder : Guillaume Tell et La donna del lago. Quelqu'un m'a même demandé une Hermione… : il faut bien évaluer.

Parlons de cette Messa di gloria : comment s'est formalisé cet enregistrement ?

Je ne connaissais pas cette musique, mon agence m'a soumis la proposition, alors j'ai lu attentivement la partition. Comme les dates d'enregistrement étaient planifiées juste avant un engagement prévu avec le Requiem de Verdi à Paris, j'y ai un peu réfléchi, juste à cause de ce que j'ai dit avant. Mais c'était une proposition flatteuse, et ça s'est très bien passé. Je voulais vraiment travailler avec Maestro Pappano, avec qui je n'avais enregistré que le petit rôle de la prêtresse dans Aïda. Pendant les répétitions de musique et celles avec l'orchestre, il m'a beaucoup aidée à comprendre des aspects de Rossini que j'abordais avec un point de vue plus tardif, en entrant avec trop de lourdeur dans la voix : il ne m'a pas demandé de "spoggiare" (supprimer l'appoggio) mais d'alléger ma voix et ma façon de penser. Il m'a aidée à trouver une tonalité pour laquelle je lui suis très reconnaissante : j'ai pu faire de l'agilité et des aigus en pianissimo, il m'a aidée à retrouver des aspects de ma technique que je n'exploitais plus. Et ce sont des pages, pour la soprano, qui ont une tessiture très haute et très virtuose. Je ne sais pas quand je pourrai travailler à nouveau avec Maestro Pappano : il y avait un projet Puccini avec lui à Londres (La rondine), mais il a été reporté.

Magistrale Messa Di Gloria de Rossini par Antonio Pappano

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Gioachino Rossini (1792-1868) : Messa di Gloria pour solistes, chœurs et orchestre. Eleonora Buratto, soprano ; Teresa Iervolino, mezzo-soprano ; Lawrence Brownlee et Michael Spyres, ténors ; Carlo Lepore, basse. Orchestra e coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Antonio Pappano. 2022. Livret en  : allemand, anglais et français. 61’10. Warner Classics. 5054197234521. 

A Pesaro, Le Comte Ory triomphe d’Otello 

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Inauguré en août 1980, le Festival Rossini de Pesaro (ROF) présente, en ces jours-ci, sa 43e édition en ouvrant les feux avec Le Comte Ory, avant-dernière création lyrique du maestro et quatrième des ouvrages parisiens donnés à l’Académie Royale de Musique le 20 août 1828. A Pesaro, il n’a connu que quatre séries de représentations entre 1984 et 2009. Et la nouvelle production, présentée dans le vaste auditorium du Vitrifrigo Arena, est confiée à Hugo De Ana qui assume régie, décors et costumes. Plutôt que de nous immerger dans un Moyen-Age de carton-pâte, il a l’ingénieuse idée de nous entraîner dans le Jardin des Délices de Hieronymus Bosch en nous faisant passer par le Jardin d’Eden au début de chaque acte afin de faire miroiter en fond de scène le Lac avec la Fontaine de la Vie. De ce large triptyque se détacheront quelques éléments ‘en dur’ come l’Homme-arbre du Panneau de l’Enfer ou la tête de vieillard sortant d’une citrouille du volet central. Continuellement, le rire vous vient aux lèvres à la vue des dames de Formoutiers dont la coiffure fleurit sous forme de buisson ou du Comte Ory travesti en Moïse à barbe postiche qui se laisse guider par l’étoile-néon bleue d’un dancing pour affronter son page Isolier portant des tables de la loi phosphorescentes. Le salon gothique de l’acte II se métamorphose en terrain de sport où ces dames se livrent à l’aérobic avant de faire entrer les soi-disant pèlerines dans une cave qui tient d’une cuisine des anges en pagaille. Et c’est en trottinette électrique que la pseudo sœur Colette se rendra auprès de la vitrine de musée où un colibri tente de s’accoupler à un canard totalement avachi. Mais le célèbre trio « A la faveur de cette nuit obscure » réunissant Ory, la Comtesse et le page frise le ridicule avec les tentatives d’étreintes qu’entrave la grandeur des oiseaux empaillés. Mais qu’importe ! Le spectacle est continuellement émoustillant !

Et son dynamisme est amplifié par la baguette du chef vénézuélien Diego Matheuz qui dirige l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI en faisant scintiller les pépites de l’orchestration géniale du dernier Rossini. Le Chœur du Teatro Ventidio Basso d’Ascoli Piceno s’adapte aisément à cette veine hilarante qui contamine aussi le plateau. 

A Pesaro, Moïse l’emporte devant Elisabetta

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En dépit d’un lourd contingentement des places, le Festival Rossini de Pesaro présente, pour sa 52e édition, trois ouvrages dans de nouvelles productions, Il Signor Bruschino au Teatro Rossini, Elisabetta regina d’Inghilterra  et Moïse et Pharaon au Teatro Vitrifrigo Arena à l’extérieur de la cité. N’ayant pu voir le premier de ces spectacles, j’ai néanmoins assisté à la répétition générale de l’un et à la première publique de l’autre (Elisabetta du 8 août, Moïse du 9).

Depuis la création de ce festival  en 1980, Elisabetta regina d’Inghilterra n’a été affichée qu’une seule fois, en août 2004, dans la mise en scène de Daniele Abbado, sous la direction de Renato Palumbo, avec Sonia Ganassi dans le rôle-titre. Dix-sept ans plus tard, Ernesto Palacio, l’actuel surintendant des manifestations, fait appel au régisseur turinois Davide Livermore qui, depuis 2010, a proposé en ces lieux Demetrio e Polibio, Ciro in Babilonia, L’Italiana in Algeri et Il Turco in Italia

Que faire de cette première ‘opera seria’ napolitaine créée au Teatro di San Carlo le 4 octobre 1815 ? La trame, mal ficelée, évoque les tribulations de Leicester et de Matilde, son épouse secrète, alors que la reine vierge Elisabeth Ière, éprise de lui, veut en faire son époux. C’est pourquoi le metteur en scène décide de transposer l’action au XXe siècle en prêtant à la souveraine les traits d’Elisabeth II, comme s’il s’agissait d’un épisode supplémentaire à la célèbre série télévisée The Crown. Avec l’aide du vidéaste D-Wok, Giò Forma conçoit un décor projeté devant lequel s’amassent les éléments en dur d’un hôtel de luxe. Les costumes de Gianluca Falaschi jouent sur le bariolage des coloris de la gentry huppée peuplant les salons de Buckingham Palace. Plus d’une fois, cette relecture frôle le ridicule (Leicester devenu officier de la flotte aéronautique est soumis à la question dans un goulag aux éclairages orange insoutenables, Norfolk recourt au téléphone pour dénoncer les agissements de Leicester à la souveraine…)

Rossini et l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg

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Gioacchino Rossini (1792-1868) : Petite Messe solennelle. Eleonora Buratto, soprano – Sara Mingardo, mezzo – Kenneth Tarver, ténor – Luca Pisaroni, basse – Winer Singakademie (Tobias Berndt) – Orchestre Philharmonique du Luxembourg, Gustavo Gimeno, direction. 2019-DSD/SACD-81’52-Textes de présentation en anglais, allemand et français-Pentatone-PTC5186797