Le 8 janvier 1920, à 16 heures 30, un jeune compositeur français déjà bien en vue, Darius Milhaud, récemment rentré du Brésil où il a été le secrétaire particulier de l'Ambassadeur Paul Claudel, reçoit chez lui, rue Gaillard à Paris, quelques critiques musicaux en vue de leur faire connaître quelques-uns de ses jeunes collègues les plus talentueux. Cinq répondent à l'appel : Arthur Honegger, Francis Poulenc, Georges Auric, Louis Durey et Germaine Tailleferre. On fait connaissance, on bavarde, on fait de la musique. L'un de ces critiques, Henri Collet, également compositeur et grand expert en musique espagnole, est particulièrement impressionné. Une semaine plus tard, le 16 janvier, il fait paraître dans la revue Comoedia un article retentissant intitulé "Un ouvrage de Rimski et un ouvrage de...Cocteau : les Cinq Russes, les Six Français". Et il récidive la semaine suivante. Le Groupe des Six est né.
Il aurait pu être de composition différente, voire comprendre un ou deux membres de plus : Jacques Ibert, Roland-Manuel... Le hasard a fait que ceux-là purent répondre à l'invitation de Milhaud ce jour-là. Mais à la vérité, leurs noms avaient déjà voisiné dans nombre de concerts depuis deux ans, une ou deux fois même au complet. D'emblée, Henri Collet a associé leurs noms à celui de Jean Cocteau, leur flamboyant porte-parole. Ce brillant poète et protagoniste de la vie mondaine de l'avant-garde parisienne ("Un cocktail, des Cocteaux", dira une bien méchante langue !) accumule depuis des années articles et manifestes, activité culminant en 1918 dans la célèbre brochure Le Coq et l'Arlequin, auxquels succèderont, mais après la naissance du Groupe des Six, les quatre numéros de l'éphémère revue Le Coq (mai à novembre 1920). Mais Collet aurait dû évoquer un autre parrainage encore, d'ailleurs sans cesse invoqué par Cocteau, celui du malicieux Erik Satie, compositeur énigmatique et rare, et écrivain-conférencier tout proche de Dada, en fait véritable père spirituel de notre Groupe.