Chef d’orchestre et musicologue, Jean-François Monnard se consacre à l'œuvre de Maurice Ravel. Il est Rédacteur en chef des excellents Cahiers Maurice Ravel, parution annuelle guettée des amoureux du compositeur, mais il a également réalisé des éditions révisées des grandes partitions symphoniques du compositeur pour la prestigieuse maison d'édition Breitkopf & Härtel. Il fait paraître la première édition révisée du ballet Daphnis et Chloé, une travail de fond exceptionnel qui sera une pierre angulaire des bibliothèques des chefs et des orchestres.
Vous avez consacré plusieurs éditions révisées d'œuvres de Maurice Ravel pour Breitkopf & Härtel. Qu’est-ce qui vous a attiré en particulier chez ce compositeur ?
L’œuvre avant tout, toujours au même niveau, l’homme aussi avec son indépendance d’esprit et le côté prestidigitateur et illusionniste du compositeur. Cette modernité qui le fait précurseur de notre temps, tout en le laissant contemporain du sien.
Daphnis et Chloé est une œuvre assez unique par ses caractéristiques instrumentales et chorales. Qu’est-ce qui fait la particularité de cette partition dans l’art orchestral de Ravel ?
Le style narratif de la musique. La partition est un programme à elle seule ; elle accompagne les événements chorégraphiques, les commente, les suggère. Elle abonde en gestes, elle a une charge descriptive.
Stravinsky a écrit son admiration pour Daphnis et Chloé. Des grandes œuvres de Ravel (Rapsodie Espagnole, Daphnis et Chloé) sont contemporaines de celles de Stravinsky (L'oiseau de Feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps). Est-ce qu’il y a une influence entre les deux compositeurs au-delà de l’admiration entre eux ?
Il est clair qu’il se sont influencés mutuellement alors qu’ils séjournaient à Clarens et se voyaient quotidiennement. Ravel s’est inspiré des Trois Poésies de la lyrique japonaise pour son instrumentation des Trois Poèmes de Mallarmé. La question est légitime : le ballet Daphnis aurait-il été ce qu’il est sans L’Oiseau de feu et Petrouchka ? En sens inverse, peut-on imaginer L’Oiseau de feu et Petrouchka sans la Rapsodie espagnole ?
Vous faîtes paraître cette édition révisée de Daphnis et Chloé, ballet complet. Il s’agit de la première édition révisée de ce chef-d'œuvre. Il est de notoriété que l’édition originale comportait un grand nombre de fautes qui énervent les chefs d’orchestre. Il se dit que Pierre Boulez avait même une longue liste d' erreurs à corriger. Comment avez-vous travaillé pour remédier à ces problèmes ?
Le dépistage de fautes est un véritable sport et, comme j’ai été chef d’orchestre dans ma première vie, je l’ai pratiqué. En outre, j’ai eu la chance de profiter de l’expérience de Charles Dutoit qui est un fin connaisseur de Ravel. Les conclusions de Boulez sont parfois surprenantes ; les compositeurs ont tendance à soumettre le texte à leur propre ressenti. Ils ont trop d’individualité pour observer une certaine objectivité. De toute façon, c’est un domaine complexe : aux fausses notes, il faut ajouter les nuances négligemment laissées de côté, les phrasés incorrects, les modes de jeux imprécis (notamment concernant l’emploi de la sourdine). Il y a également des passages qui suscitent des doutes comme les timbales dans la première des Valses nobles et sentimentales, qui ne suivent pas toujours la ligne des contrebasses.