Mots-clé : Josep Pons

La célèbre « Carmen » revisitée par Calixto Bieito revient au Liceu

par

Le Liceu a voulu rendre hommage à Luis López Lamadrid, récemment disparu et qui fonda en 1987 le désormais célèbre Festival de Peralada dans la Costa Brava catalane. Un lieu où il fallait être, mais presque plus « y paraître » … et qui ouvrait en 1999 sa saison d’opéra avec une Carmen mise en scène par un jeune homme de théâtre du nom de Calixto Bieito. La réputation de provocateur qui l’a suivi depuis est, à mon humble avis, quelque peu surfaite et s’inscrit plutôt dans le mouvement des artistes qui ont œuvré depuis le monde de la culture à la chute du régime franquiste et au démontage de ses mythes fondateurs basés sur le catholicisme conservateur, ultramontain, et la force militaire sans mesure. Par exemple, le grand taureau publicitaire est clairement emprunté au film-icône de Bigas Luna « Jamón, jamón » de 1992, où une délicieuse débutante dénommée Penélope Cruz se laissait bercer dans un décor identique par les assiduités de ce merveilleux acteur qui est Javier Bardem. Il faut aussi citer ce farouche antifranquiste et génie mal connu qui est Fernando Arrabal parmi les artistes qui ont précédé la « provocation » de Bieito. En 1985, Arrabal mettait en scène La vida breve de Manuel de Falla à Liège -un ouvrage dont les concomitances avec Carmen ne sont pas suffisamment mises en relief- dans un décor de vielles voitures à la casse et de volcans. Les « Mercedes » cabossées des trafiquants de Bieito ont là un précurseur avoué ou peut-être inconscient… Le succès international de cette production peut également surprendre car la plupart de ses éléments visuels sont directement inspirés des dernières années de ce triste régime et d’une laideur ambiante très caractéristique de sa propre décadence sociale. Les quelques ébats sexuels qu’on esquisse ou la présence d’un danseur nu dans la pénombre suscitent néanmoins encore des chuchotements parmi le public… Le fait d’emmener l’action du florissant port de la Séville de Mérimée / Meilhac et Halévy vers la frontalière Ceuta et ses trafics en tout genre, avec sa Légion étrangère (qui contribua tellement au succès et à la durabilité du coup d’état militaire), avec ses gardes civils peu scrupuleux, est très lisible pour qui a connu ce régime disparu en 1978, mais pourrait sembler flou à un public moins ciblé. Parmi les points forts du travail scénique, il faut citer les mouvements des chœurs : agiles, ils sont déployés en un clin d’œil et animent le plateau avec une vivacité gratifiante. Dirigés par Pablo Assante, leur performance musicale est franchement splendide dans les moments d’éclat, même si quelques moments de flou se sont pointés dans le difficile « Écoute compagnon ». Brillants et précis, aussi, les nombreux enfants du chœur de Granollers Amics de l’Unió, même si leur culture d’un son, quelque peu acide, n’est pas la meilleure parmi les groupes de maîtrise catalans.

Fin de saison à l'OPMC avec Sergey Khachatryan,   Juraj Valčuha, Renaud Capuçon et Josep Pons

par

Deux programmes symphoniques contrastés de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo marquaient la fin de la saison symphonique.

Le concert symphonique donné le 11 juin par l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo s'intitule "Monumental". C’est un titre bien trouvé car le public monégasque a pu vivre le meilleur concert de la saison. L'OPMC était placé  sous la direction du chef slovaque Juraj Valčuha avec, en soliste, le violoniste Sergey Khachatryan. 

On ne présente plus Sergey Khachatryan, l’un des meilleurs violonistes du moment -sinon le meilleur- par sa technique impériale, par l’émotion qu’il transmet aux partitions et par la singularité et la personnalité de ses interprétations. Celle du Concerto pour violon de Beethoven est unique par sa totale maîtrise de l'instrument et sa projection d’un son à l’identité unique. Khachatryan est en osmose avec l'orchestre et le chef : pas de mouvements inutiles, de grimaces ou d'effets. Un vrai musicien qui sert l'essence divine de la composition.  Le public est transporté et il offre après plusieurs rappels une page de Bach.

Le Liceu ouvre la saison avec un Don Pasquale débordant de joie

par

Créé en 1843, alors que Donizetti avait déjà composé pas moins de 70 titres, Don Pasquale est en quelque sorte son testament théâtral. Chef d’œuvre de l’« Opera buffa », il en sera aussi pratiquement son oméga car seuls deux autres grands l'ont suivi : l'inclassable Fallstaff verdien et le très spécial Gianni Schicchi de Puccini. Intitulé à bon escient « Dramma giocoso », le propos est à première vue joyeux et insouciant, mais la trame sous-tend bien de considérations profondes sur la nature humaine, le vieillissement et la liberté individuelle. La veille de la création parisienne au Théâtre des Italiens, qui avait connu les grands succès rossiniens, Wagner présentait à Dresden son Fliegende Holländer et, quelques mois plus tard, ce sera le tour de la création du Ernani de Verdi. En 1843, Donizetti n'a que 46 ans, mais la maladie le ronge et la révolution de 1848, année de sa mort, commence à sourdre. Ceci peut expliquer le caractère vindicatif et libérateur de ce livret remanié par le compositeur lui-même sur un ouvrage d’Antonio Anelli.

Ombres et lumières dans Pelléas et Mélisande au Liceu

par

Debussy prétendait trouver un nouveau chemin à l'opéra. Pris en étau entre le style du vérisme et ses drames de cape et épée, qui tranchaient avec les émotions provoquées par les injustices et misères de ce bas-monde, et le wagnérisme avec son exaltation brumeuse des légendes alémaniques (si souvent inspirées de Chrétien de Troyes...), il n'a écrit que ce seul ouvrage, rejetant tous ses précédents essais opératiques. Il lui a consacré dix ans, retravaillant sans cesse à simplifier le propos et à polir son langage et a tenu de longs échanges avec Maeterlinck à propos du livret, presque entièrement extrait de la pièce de théâtre avec diverses coupures. Leur brouille à propos du choix de la Mélisande mettra fin à leur relation... Dans sa correspondance avec Ernest Guiraud, qui fut son professeur au Conservatoire de Paris, il déclare qu’ il souhaite suivre le poète qui « disant les choses à demi, permettra de greffer mon rêve sur le sien; qui concevra des personnages dont l’histoire et la demeure ne seront d’aucun temps, d’aucun lieu… » ... « Je rêve de poèmes qui ne me condamnent pas à perpétrer des actes longs, pesants ; qui me fournissent des scènes mobiles, diverses par les lieux et le caractère ; où les personnages ne discutent pas, mais subissent la vie et le sort ». Cent vingt ans après sa création, Pelléas reste un indiscutable chef d'œuvre de la musique. Et, malgré les diatribes anti-wagnériennes qu'il prodiguait (comme le fameux Golliwoog's Cake Walk parodiant le thème germinal de Tristan et Yseult...) le rapprochement avec le drame wagnérien est omniprésent, autant dans l'histoire du triangle amoureux que dans la musique. Mais considérer son empreinte comme ouvrage dramatique nous mène tout droit à un chemin d'ombres et de lumières. Ombres car le texte, pour le spectateur actuel, oscille entre le niais des propos décousus des amants non avoués, (mais droit dans la lignée du non-dit freudien) et le stupéfiant, comme la terrible sentence d'Arkel : « Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes »

L’OPMC à l’espagnole avec Josep Pons et Nelson Goerner

par

L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par le chef catalan Josep Pons et le pianiste argentin Nelson Goerner nous invitent à faire un voyage musical dans le Sud de l'Espagne. L'Espagne et son soleil radieux, ses couleurs flamboyantes, ses parfums capiteux, ses rythmes trépidants, et ses langueurs d'été. Qui dit Espagne dit Ravel dont l’inspiration espagnole est centrale.  Le concert commence avec l'Alborada del Gracioso de Maurice Ravel. L'orchestre réunit, en complément de son effectif habituel, deux harpes et un ensemble de percussions extrêmement varié dont les castagnettes et le xylophone. L'orchestre et Josep Pons sont d'emblée en symbiose et les instruments en parfaite synchronisation. Ravel est encore représenté par la Rapsodie Espagnole également magnifiée par la direction engagée de Josep Pons. 

Contemporain de Maurice Ravel, qu'il rencontre lors de son long séjour en France, Manuel de Falla est représenté par les Nuits dans les jardins d'Espagne évocant une ambiance aux parfums orientaux pleine de mystère. Grâce à son tempérament de feu doublé d'une grande sensibilité, le brillant pianiste Nelson Goerner capture immédiatement l'esprit et les émotions typiquement espagnoles. La synergie entre le pianiste et l'orchestre est parfaite et le choix des tempi est en accord. Josep Pons dirige cette oeuvre avec sensibilité et passion. L'orchestre est d'une perfection immaculée. Le public lui réserve une ovation bien méritée. Il nous donne en bis le Nocturne n°20 en do dièse mineur de Chopin (celui interprété dans le film "Le Pianiste").  

Les jeux de l'amour et du pouvoir au Liceu “Lessons in love and violence” de Georges Benjamin

par

Le Liceu maintient son cap à travers les difficultés que le monde culturel connaît, et met en scène la co-production, avec les opéras d' Amsterdam, Hambourg, Chicago, Lyon et Madrid, du nouvel opéra de Georges Benjamin créé à Londres en 2018. Le succès de ce compositeur va bien au-delà du « bien mérité » : il est un acteur incontournable de la musique actuelle et a fortiori de l'opéra. C'est le troisième élément de sa trilogie avec le librettiste Martin Crimp après Into the Little Hill et Written on Skin. Ici, le livret est extrait d'une pièce de Christopher Marlowe, le « rival » de Shakespeare. Katie Mitchell en signe une mise en scène qui déplace l'histoire du Roi Edward II de Caernarfon du XIVe siècle à l'actualité, dans un décor qui pourrait évoquer celui de n'importe quel gouvernant aimant à l'obsession le luxe et les œuvres d'art. Et qui oublie de ce fait ses obligations envers ses gouvernés, n'écoutant que sa propre passion amoureuse pour son favori et conseiller Piers Gaveston. Ce qui le mènera à une issue dramatique pour son pouvoir et celui de sa famille. Sur scène, on pourrait presque parler d'un opéra de chambre, avec un plateau assez réduit. Par contre, l'orchestre est tellement élargi qu’il doit occuper, pour des raisons sanitaires, une partie du parterre, devenant ainsi presque le protagoniste central. Si l'écriture vocale de Benjamin est très éloquente et traduit admirablement la palette des états d'âme des personnages, il faut bien avouer que son travail d'orchestration est somptueux : à chaque tableau il nous donne des nouveaux frissons et nous transporte dans des paysages sonores bien différenciés, ayant parfois recours à des instruments inhabituels comme le cymbalum. Mérite aussi du directeur musical, Josep Pons, titulaire de la maison, dont le geste sobre et le calme olympien face aux difficultés de l'écriture réussissent à extraire tellement de couleurs et d'éléments sonores de l'œuvre que, à la fin du spectacle, la première réaction est l'envie de la réécouter et de la revoir dès que possible. Et l'intelligibilité du texte ne se trouve jamais compromise ni par les musiciens ni par l'orchestration, extrêmement subtile.

Le travail de Katie Mitchel, détaillé et rythmique, nous invite à réfléchir sur les jeux perfides du pouvoir et combien toute notion de morale ou loyauté devient presque incompatibles. La précision dans les mouvements, presque chorégraphiés, nous tient en haleine tout au long de la pièce. Le malaise qu'elle provoque en nous devient indescriptible lorsqu'elle a recours à la présence des enfants du Roi, aussi bien pendant les ébats avec Gaveston qu'au milieu des sordides trames ourdies par Mortimer pour accroître son pouvoir, se servant de la trahison dont la Reine est victime. Et, pour comble, les enfants assistent également à la décapitation de Gaveston, en guise de leçon pour le nouveau Roi, qui ordonnera à son tour l'exécution de Mortimer... Tout un programme !

Josep Pons, chef d’orchestre 

par

Le chef d’orchestre espagnol Josep Pons, actuel directeur musical du Liceu de Barcelone, était au pupitre de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse pour un concert Ravel/de Falla triomphal. On doit à ce maestro des enregistrements révolutionnaires de la musique de Manuel de Falla pour Harmonia Mundi et DGG. Il revient sur la place de compositeur dans l’Histoire de la musique et nous parle de la vie musicale espagnole.  

Quelle est la place de Manuel de Falla dans l’histoire de la musique espagnole ? 

Sa place est prépondérante et essentielle. Il faut se replacer dans une perspective historique. L’Histoire de la musique espagnole connaît une apogée au XVIIe siècle, le siècle d’or avec les grands polyphonistes à l’image de Cristobal de Morales, Francisco Guerrero, Diego Ortiz. Au XVIIIe siècle, l’importance de la musique commence à décliner. Si la peinture reste un domaine d’excellence avec des peintres comme Velasquez et Goya, la musique se caractérise par l’importation de talents étrangers comme Boccherini ou Scarlatti. Au XIXe siècle, le niveau musical est devenu très faible et il y a un grand retard par rapport aux autres pays européens comme la France, l’Allemagne ou l’Italie.  Ainsi, certaines symphonies composées à la fin du XIXe siècle présentent encore des basses continues alors que Haydn les avait abandonnées un siècle auparavant. C’est dans ce contexte qu’apparaît, et alors que rien ne le laissait présager, la figure de Manuel de Falla. Il hisse la musique espagnole au niveau européen. Certes sa production est numériquement petite, mais à l’exception des œuvres de jeunesse dites « PreManuel de AnteFalla », ses partitions sont de première importance. On peut le comparer à Maurice Ravel avec qui il partage une œuvre réduite en quantité mais dont la place dans l’Histoire de la musique est considérable. Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’affirmation du compositeur n’aurait pas été possible sans le tissus musical parisien du début du XXe siècle. N’oublions pas que c’est Debussy qui se démène pour que son opéra La Vie Brève puisse être créé à Nice en 1913 ! En fréquentant Paris qui regroupait alors l’élite des compositeurs mondiaux -Debussy, Ravel, Stravinsky…- Manuel de Falla a très rapidement été reconnu comme l’un des leurs ! 

Ravel au piano et à l'orchestre avec Javier Perianes et Josep Pons

par

Maurice RAVEL (1875-1937) : « Jeux de miroirs » : Alborada del gracioso, pour orchestre ; Le Tombeau de Couperin, 6 Pièces pour piano ; Concerto pour piano et orchestre en sol majeur ; Le Tombeau de Couperin, suite d’orchestre ; Alborada del gracioso, pour piano. Javier Perianes, piano ; Orchestre de Paris, direction : Josep Pons. 2019. Livret en français, anglais et espagnol. 81.05. Harmonia Mundi HMM 902326.