Le Liceu ouvre la saison avec un Don Pasquale débordant de joie

par

Créé en 1843, alors que Donizetti avait déjà composé pas moins de 70 titres, Don Pasquale est en quelque sorte son testament théâtral. Chef d’œuvre de l’« Opera buffa », il en sera aussi pratiquement son oméga car seuls deux autres grands l'ont suivi : l'inclassable Fallstaff verdien et le très spécial Gianni Schicchi de Puccini. Intitulé à bon escient « Dramma giocoso », le propos est à première vue joyeux et insouciant, mais la trame sous-tend bien de considérations profondes sur la nature humaine, le vieillissement et la liberté individuelle. La veille de la création parisienne au Théâtre des Italiens, qui avait connu les grands succès rossiniens, Wagner présentait à Dresden son Fliegende Holländer et, quelques mois plus tard, ce sera le tour de la création du Ernani de Verdi. En 1843, Donizetti n'a que 46 ans, mais la maladie le ronge et la révolution de 1848, année de sa mort, commence à sourdre. Ceci peut expliquer le caractère vindicatif et libérateur de ce livret remanié par le compositeur lui-même sur un ouvrage d’Antonio Anelli.

La distribution de la première comprenait les grands barytons Tamburini et Lablache, dont la rivalité artistique poussera Donizetti à leur écrire le célèbre duo « Cheti, cheti ». Giulia Grisi et le ténor Mario de Candia complétaient la brillante équipe, avec tant de bonheur qu’ils se marièrent par la suite… Hier ce fut le tour des très jeunes Sara Blanch, catalane, et Xabier Anduaga, basque, de briller dans une production pratiquement sans faille, secondés par le vétéran Carlos Chausson, dont le nom francophone cache un Aragonais de pure souche, autant que Del Pueyo, Buñuel ou Goya… et un talent du même acabit. Il a en ce moment l’âge du rôle, 72 ans, une forme vocale époustouflante et un talent d’acteur… sans limites. Et ce n’est pas l’expérience qui le rend routinier ou cabotin, son interprétation est d’une fraîcheur et d’une candeur émouvantes. Il nous arrache presque des larmes lorsque Norina le gifle et qu’il répond en chantant le célèbre « È finita, Don Pasquale… » Le quatuor est complété par le jeune Polonais Andrzej Filończyk en Malatesta, la seule fausse note de cette soirée. C’est un excellent acteur, il nous fait rire et porte admirablement la trame, mais sa voix manque de corps et le legato ou la ligne du chant sont presque totalement absents. Cela surprend au Liceu. Xabier Anduaga, en revanche, un chanteur qui a déjà reçu pas mal de reconnaissances internationales à son jeune âge, nous offre une voix solaire, très nuancée, à l’aigu lumineux et au médium d’airain. Il connaît en détail tous les secrets du bel canto et est un acteur engagé et convaincant. Son duo avec Norina du troisième acte « Tornami a dir che m’ami », dans des demi-teintes subtiles, sera un des moments le plus touchants de la soirée. Sara Blanch aussi a une maîtrise parfaite de la messa di voce, des sfumature et de toutes les ressources de cet art italien parfois décrié lorsqu’il est pratiqué en dehors du style adéquat. Elle impressionne autant par la précision de ses coloratures, aussi brillantes qu’élégantes, que par l’aisance insolente de ses notes aigües. Jamais un son ne sera forcé, même si l’orchestre génère parfois un courant sonore un peu excessif. Cependant, en aucun moment le jeu de scène ne s’en voit compromis, bien au contraire, l’impression générale de cette soirée est celle d’une artiste qui trouve un bonheur parfait à jouer sur scène, à séduire son vieux barbon ou à s’amuser des difficultés techniques du rôle.

C’est réconfortant car tous les artifices techniques de son chant sont parfaitement mis au service du jeu théâtral et la complicité avec le metteur en scène Damiano Michieletti (qui prépare actuellement Der Rosenkavalier à la Monnaie) nous amène une série de « gags » impayables : un petit saut de joie acrobatique sur un « contre-ut » ou une tirette soi-disant entravée pendant qu’elle s’habille sur scène… au milieu d’une cadence virtuose ! Il faut saluer la qualité du travail scénique : le rythme est endiablé et l’imagination toujours au pouvoir. À la surface, nous voyons un spectacle comique sans faille, mais la réflexion sur cette acceptation du passage du temps et du vieillissement, sur la place donnée aux jeunes et leur liberté individuelle y est implicite. Le dispositif scénique de Paolo Fantin n’est pas le plus beau que l’on puisse imaginer mais est franchement efficace. La maison n’est suggérée que par ses contours et le public peut voir tout ce qui se passe dedans. Un mobilier qui rappelle les films des néoréalistes italiens Lattuada ou De Sica, avec tous les poncifs des maisons de nos grands-parents -la grosse pendule, les couleurs sombres ou la vieille Fiat au jardin- sera rasé par l’arrivée triomphale de Norina et sa cohorte de décorateurs qui amèneront un style « ultramoderne » des plus prétentieux et une Maserati clinquante neuve... D’autres détails imaginatifs, comme le délicieux recours aux marionnettes pour quelques scènes ou la transmission vidéo en direct du visage des protagonistes pour d’autres, rendent le travail de Michieletti particulièrement brillant. L’orchestre, sous la conduite de son titulaire, Josep Pons, joue avec brio, souplesse, délicatesse ou fougue à souhait. Quelquefois les tempi sont endiablés, mais leur virtuosité n’est en rien mise à l’épreuve. Le solo de trompette de l’Air d’Ernesto est brodé par Josep Anton Casado : non seulement il le joue admirablement, mais il nous arrache presque des larmes face à la détresse du jeune neveu chassé de la maison.

Le Liceu s’est doté récemment de nouvelles grilles extérieures en acier inox, une véritable œuvre d’art conçue par le brillant sculpteur barcelonais Jaume Plensa sur des lettres de différents alphabets. Le théâtre lui a confié aussi les décors et la mise en scène d’une production de Macbeth pendant cette saison. 

Une première au Liceu est aussi un curieux évènement social : des politiciens de tous genres, des grands bourgeois catalans, artistes et célébrités de différents calibres se sont donné rendez-vous auprès d’un public mixé de véritables « aficionados » et des « il faut y être » (ou paraître). La bourgmestre de Barcelone, Mme Colau, très critiquée par son rarissime soutien à l’opéra ou à l’art musical y était aussi… mais elle est partie à l’entracte, ce qui en dit long sur son respect envers les artistes !

Xavier Rivera

Barcelone, le 21 septembre 2022

Crédits photographiques : Sara Blanch a 'Don Pasquale' (© David Ruano)



Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.