Mots-clé : Pene Pati

Clôture du Printemps des arts 2024

par

Le Festival du Printemps des Arts s'achève par deux concerts de grande qualité. On a le plaisir de retrouver le Quatuor Parisii, à 18h dans le cadre magique de la Salle de Conférences du Musée Océanographique pour un Concert aux bougies (électriques) dans une semi-pénombre renforçant le caractère intimiste des œuvres de Haydn, Alvarado et Mozart. L'acoustique de la salle convient parfaitement aux instruments à cordes.

Le Quatuor Parisii propose en ouverture le Quatuor en si bémol majeur  “Lever du soleil” op.76 n°4 de Joseph Haydn L'interprétation des Parisii est caractérisée par la perfection, une complicité étonnante, pleine d'assurance et d'inventivité. Ils ont une sonorité ample avec des alternances entre chant et élans dramatiques. Le fabuleux adagio est particulièrement poignant.

Pour leur quarantième anniversaire, les Parisii ont commandé un quatuor au jeune compositeur Francisco Alvarado. Le Konsonanzenquartett, un clin d'œil au Quatuor "Les dissonances" de Mozart. Les Parisii alternent les mouvements des deux quatuors et c'est une sublime conversation à travers les siècles. L'oreille est constamment surprise, une expérience très enrichissante.

La Bohème tout simplement au Théâtre des Champs-Elysées

par

Le metteur en scène Eric Ruf place les quatre tableaux de cette Bohème à l’intérieur d’un Théâtre dans le Théâtre, celui des Champs-Elysées. Magnifié par le rideau rouge qu’achève de peindre Marcello, l’espace devient tour à tour mansarde, Quartier latin ou Barrière d’Enfer, englobant même toute la salle un moment éclairée face à Mimi.

Les cages sont propices à la fluidité de déplacements bien réglés tandis que le café Momus évoque quelque conte d’Andersen où se mêlent cris d’enfants, tambours, filles légères au grand cœur et amis désargentés.

La lumière (Bertrand Couderc) définit chaque lieu d’une simple rampe ou d’un lever de lune. Sa discrète poésie s’harmonise au jeu des costumes (Christian Lacroix) plus percutant qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi la robe orange de Musetta et celle, rouge vif, de Mimi au moment de sa mort, s’harmonisent-elles avec cette sensualité si particulière propre aux héroïnes sacrificielles de Puccini -féminité candide, ardente et blessée. 

Cet éclat est renforcé par le contraste avec une tonalité d’ensemble aux teintes sourdes. La palette des gris et des bruns, la variation des textures -fourrures, drap de laine, tricots- affine inconsciemment le regard. Merveilleusement terne, le raffinement ne se perçoit que peu à peu si bien qu’il faudra attendre les saluts pour en savourer les détails. Mais, surtout, par l’aisance de leur coupe, paletots, pelisses puis redingotes virevoltantes suscitent le geste vif, enlevé, dramatiquement juste.

Sur ce fond de grisaille, le moindre frémissement de vie, de chaleur humaine, de tendresse prend toute la place dans le courant d’une musique en constante métamorphose.

Le jeune chef lombard Lorenzo Passerini s’en empare avec un enthousiasme communicatif et un sens dramatique aiguisé. Fondateur de l’orchestre Antonio Vivaldi, tromboniste de formation, il galvanise l’Orchestre national de France comme les chœurs Unikanti-Maîtrise des Hauts de Seine. Sa vivacité sait se tempérer, soutenir des contrastes énergiques ou se mettre en retrait à l’écoute de ces accents de simplicité souriante et mélancolique caractéristiques du musicien. Chaque pupitre est mis en valeur et le génie orchestral du compositeur de Manon Lescaut peut se déployer dans toute son envergure. Au point que des réminiscences rares, habituellement fondues dans la masse, surprennent l’oreille : Moussorgski, entre autres, dont l’influence aura été finalement bien au-delà de Ravel, orchestrateur des Tableaux d’une exposition qui citait volontiers Puccini comme modèle d’orchestration, de Claude Debussy dont l’aversion pour le vérisme cohabitait avec une admiration éperdue pour Boris Godounov -« Tout Boris est dans Pélléas » confiait- t-il ! Ou de Stravinski, lui aussi, imprégné des trouvailles de la Khovantchina.

Un plateau de haut vol offre une interprétation équilibrée et bien caractérisée. Très attendu pour sa prise de rôle, le ténor Pene Pati (Rodolfo) fait preuve d’une belle sensibilité (« Che gelida manina ») qui s’affirme au fil de la représentation. Emouvant dans l’échange du quatrième tableau avec Marcello, sa puissance parfois démonstrative n’exclut pas de belles demi-teintes.

Alexandre Duhamel incarne un peintre chaleureux, truculent, très juste dans sa relation avec Musetta (Amina Edris).

Un premier récital enthousiasmant du ténor samoan Pene Pati

par

Airs d’opéras de Giuseppe Verdi (1813-1901) : Rigoletto et La Battaglia di Legnano ; Charles Gounod (1818-1893) : Roméo et Juliette et Polyeucte ; Gioacchino Rossini (1792-1868) : Guillaume Tell et Moïse et Pharaon ; Gaetano Donizetti (1792-1848) : L’Elisir d’amore et Roberto Devereux ; Giacomo Meyerbeer (1791-1864) : Les Huguenots et L’Etoile du nord ; Jules Massenet (1842-1912) : Manon ; Benjamin Godard (1849-1895) : Jocelyn. Pene Pati, ténor ; Mirco Palazzi, baryton-basse (pour Moïse et Pharaon) ; Chœurs de l’Opéra national de Bordeaux ; Orchestre national Bordeaux Aquitaine, direction Emmanuel Villaume. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des airs en langue originale, avec traductions. 79.10. Warner 0190296348631.

Moïse oui, Rossini non : « Moïse et Pharaon » de Gioacchino Rossini 

par

Si Moïse a finalement réussi à sauver son peuple en lui ouvrant les eaux de la mer Rouge, en revanche, il n’y a eu aucun miracle pour sauver le Rossini de Tobias Kratzer.

Moïse et Pharaon, un opéra créé à Paris en 1827, est la refonte radicale d’un précédent Mosè in Egitto créé à Naples en 1818. La version parisienne est typique du « grand opéra à la française » : grand orchestre, distribution abondante, décors monumentaux, effets scéniques, sujet historique, et l’indispensable ballet. 

Moïse et Pharaon est le conflit à rebondissements entre le terrible prophète et le souverain égyptien, ponctué par des emprisonnements, des malédictions concrétisées et le miracle d’une mer traversée. On y ajoutera une histoire d’amour entre Anaï, la nièce de Moïse, et Aménophis, le fils du Pharaon. 

Cela aurait pu être grandiose, spectaculaire, exaltant. Il n’en est rien. Tobias Kratzer, le metteur en scène, a –évidemment- voulu actualiser le propos. Les Hébreux sont devenus des migrants confrontés à des occidentaux technocratisés sans âme. Au premier acte, le plateau est divisé en deux : à gauche, les tentes misérables d’un camp de migrants, à droite les bureaux high tech d’un pharaon moderne. Voilà qui réduit l’espace de jeu : on s’agite chez les migrants, on reste figé chez les nantis. Ajoutons que dans cet univers aux apparences très réalistes, Moïse apparaît tel que Charlton Heston l’a immortalisé dans le film de Cecil B. DeMille. Anachronisme « significatif » bien sûr. On ne se parle pas en direct entre les deux camps : si Moïse a une ligne directe avec Dieu, les autres le contactent par Zoom ou autre Skype. On imagine ce qui en résulte pour la tension dramatique. L’épouse convenable proposée à Aménophis lui apparaît sur la page d’un site de rencontres. Faisons bref : une vidéo déroule des catastrophes naturelles d’aujourd’hui, bien métaphoriques, n’est-ce pas, des fléaux qui s’abattent sur l’Egypte, et on n’échappe pas aux canots pneumatiques et gilets de sauvetage pour la traversée des « migrants ». Quant à la direction d’acteurs, elle est inexistante ou tristement littérale. Le ballet est un long moment à passer. La vidéo est dispensable.