Tout Franck (en chambre)

par

0126_JOKER
César FRANCK (1822-1890)
Intégrale de la musique de chambre
David LIVELY (piano), Tatiana SAMOUIL (violon), Jolente DE MAEYER (violon), Tony NYS (alto), Justus GRIMM (violoncelle)

2012- 4 CD – 4h24’27’’- Texte de présentation en français, anglais, néerlandais – Cyprès – CYP4637

« L’œuvre de Franck suffit à illustrer une époque. Et quand Gounod, et Massenet, et Reyer, et Saint-Saëns seront depuis longtemps remisés dans les cartons, les partitions de Franck apparaîtront, radieuses de jeunesse, avec leur fraîcheur et leur merveilleuse distinction ». C’est en ces termes que le périodique bruxellois L’Art Moderne (9 novembre 1890) rend hommage au maître tout juste disparu. Octave Maus, auteur présumé de l’article, avait en effet œuvré à la promotion de la musique de la « jeune école française » dont Franck fut le chef de file avant que d’Indy ne reprenne le flambeau pour ériger en dogme certains principes de son vénéré professeur. Comme au temps des concerts des XX et de la Libre Esthétique de Maus, c’est aujourd’hui encore de Bruxelles que vient la reconnaissance de l’œuvre chambriste du compositeur à travers cette intégrale providentielle. Le label Cyprès et La Monnaie ont allié leurs forces pour nous proposer un coffret sans précédent. Quelques semaines après un « portrait » publié par Musique en Wallonie – dont nous avons souligné ici même la qualité inégale – ces quatre disques exhalent parfaitement ladite fraîcheur de l’œuvre d’un compositeur à l’image parfois austère (et tronquée) d’organiste mystico-contrapuntiste. La mise en plage du coffret nous plonge tout d’abord dans la célébrissime Sonate pour violon et piano qui, toutes transcriptions confondues, atteindra bientôt les 200 enregistrements ! Tatiana Samouil et David Lively ne font certes pas oublier les plus grandes gravures (Yehudi/Hephzibah Menhuin (1936, Naxos) et Régis Pasquier/Catherine Collard (Lyrinx), nos versions de cœurs). Ils proposent néanmoins une lecture inspirée de ce chef-d’œuvre qu’ils dépoussièrent singulièrement. Mise à hauteur d’homme, la partition est exempte de toute pédanterie (le finale !) et, mieux que de souffle épique, il y est surtout question de respiration vitale. La manière dont Lively gère la pulsation en dit long sur sa formidable musicalité (phare de toutes les œuvres avec piano proposées ici) tandis que l’archet de Samouil se fait tour à tour intimiste, volcanique ou cajoleur. Peu de grandes tirades mais beaucoup d’intimité. A cet « incontournable » du répertoire, viennent s’ajouter quelques duos de jeunesse pas forcément indispensables (sauf pour prétendre à l’exhaustivité) mais pleins de charme et d’expressivité – Mélancolie, Andantino quiestoso et Duo concertant sur des motifs de Gulistan de Dalayrac. Si les musiciens réunis sous le nom de « Malibran » sont loin d’avoir la cohésion des meilleures formations permanentes, l’interprétation du Quatuor à cordes n’en est pas moins un beau moment de musique. Elle manque néanmoins de hauteur de vue pour devenir une version d’anthologie. L’étourdissant Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle est quant à lui l’un des sommets de l’intégrale. Réunis autour du piano fédérateur de Lively, les instrumentistes font preuve d’un engagement total et d’un enivrant lyrisme. Enfin, l’interprétation des Trios et du Solo de piano avec accompagnement de quintette emporte l’adhésion par la fraîcheur expressive et la poésie qui s’en dégagent. Les thèmes cycliques (ou non) sont toujours développés le plus naturellement du monde – de quoi se délecter de ces œuvres plus importantes qu’il n’y paraît. En somme, malgré une plastique parfois perfectible (certain(e)s notes ou coups d’archet semblent un rien « forcés »), cette intégrale permet de réévaluer la musique de Franck à la lumière de la jeunesse –la sienne, la nôtre et celle, intellectuelle, des musiciens engagés ici – quel que soit leur âge individuel. LE coup de cœur de l’automne discographique !
Nicolas Derny
Son 9 - Livret 10 - Réperoire 10 - Interprétation 9

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