Captivante Vilde Frang !

par

0126_JOKERErich Wolfgang Korngold
(1897-1957)
Concerto pour violon en ré majeur, op. 35
Benjamin Britten
(1913-1976)
Concerto pour violon, op. 15
Vilde Frang (violon), Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, dir.: James Gaffigan
2016-DDD- 58’12- Textes de présentation en anglais, allemand et français - Warner Classics 0825646009215

Mervyn Cooke, auteur de la notice qui accompagne ce nouvel enregistrement, rappelle utilement quelques points qui unissaient les deux compositeurs au moment où ils conçurent leurs concertos pour violon. L’un et l’autre furent extrêmement précoces. D’ailleurs, les premières compositions de Korngold dans la Vienne d’avant la Première guerre mondiale amenèrent plusieurs critiques contemporains à le qualifier de nouveau Mozart, alors que les débuts du tout jeune Britten furent quand même épargnés par ce genre de publicité tapageuse. Korngold doit avant tout sa réputation à son talent de compositeur de musique de films hollywoodiens, ce qui le motiva d’autant à s’établir pour de bon aux Etats-Unis après la prise du pouvoir par les nazis dans son Autriche natale. Britten lui, se trouvait en Amérique du Nord (d’abord au Canada, puis aux Etats-Unis) quand éclata la Deuxième guerre mondiale. Commencé autour de 1937, le concerto fut terminé en 1939 et c’est au Carnegie Hall de New York que le virtuose espagnol Antonio Brosa -pour qui,l’oeuvre fut écrite- en donna la première audition, accompagné par l’Orchestre Philharmonique de New York dirigé par John Barbirolli.
Sur le plan du style, en revanche, les deux oeuvres n’ont vraiment rien de commun. Korngold s’inscrit directement dans la lignée du post-romantisme allemand et plus particulièrement de Richard Strauss à qui sa veine mélodique et sa brillante palette orchestrale font souvent penser. La genèse de l’oeuvre est un peu compliquée: Korngold ayant dans un premier temps destiné l’oeuvre (pour laquelle il avait largement puisé dans ses musiques de films) à Bronislaw Huberman qui la trouva trop difficile, la retravailla à la demande de Jascha Heifetz qui insista pour la rendre plus virtuose encore. C’est d’ailleurs Heifetz qui en donna la première en 1947 et en signa le premier enregistrement en 1953.
Vilde Frang donne de cette oeuvre -toute de brillance, de charme et de séduction- une version remarquable. La façon dont elle combine une sûreté technique exceptionnelle -fini violonistique impeccable, justesse irréprochable, maîtrise d’archet magnifique, sonorité svelte et élégante (et quel beau vibrato dans l’aigu!)- avec une très fine sensibilité et un chic fou est simplement enchanteresse. Les difficultés techniques accumulées à la demande de Heifetz ne lui font absolument pas peur, et elle captive à tout moment par la sincérité de sa démarche alliée en même temps à ce plaisir (discrètement jubilatoire) dont on devine qu’elle l’éprouve à dominer sans efforts les exigences de la partition.
Le concerto de Britten est lui d’une autre trempe, puisqu’il s’agit d’un authentique chef-d’oeuvre inexplicablement négligé jusqu’à ces dernières années tant par les organisateurs de concerts, les grands solistes que les éditeurs discographiques. (Pour la petite histoire, l’auteur de ces lignes a demandé pendant plus d’une décennie et sans succès à la défunte Société Philharmonique de Bruxelles puis à Bozar de la programmer.) Heureusement, des violonistes tels que Gil Shaham, Frank Peter Zimmermann ou Janine Jansen ont entrepris de remédier à cette situation.
Dans le premier mouvement, Vilde Frang -qui adopte ici un son plus plein- fait preuve d’un sérieux, d’un calme, d’un équilibre, d’une inébranlable sérénité qui rappellent beaucoup Oistrakh. La façon dont elle soutient la tension de la musique sans effort impressionne fortement. Elle aborde le deuxième mouvement comme un vrai Scherzo diabolique où elle fait bien ressentir la parenté stylistique avec les concertos de Prokofiev. (surtout le Premier). Ici aussi, son vibrato serré dans l’extrême aigu -façon Milstein- ravira les amateurs de belle technique. La longue cadence qui conclut le mouvement est rendue de façon remarquable, avec vraie grandeur, mais sans la moindre lourdeur. La grande Passacaille finale est abordée avec un impressionnant calme intérieur et une concentration qui ne relâche pas un seul instant, avant que la fin de l’oeuvre n’arrive dans un mélange de douceur et de résignation. Il faut ajouter que le brillante soliste norvégienne a la chance de bénéficier d’un accompagnement de grande classe et totalement impliqué de la part du jeune chef américain James Gaffigan à la tête de l’excellent Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort.
Patrice Lieberman

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10 

Les commentaires sont clos.