Un défi et un paradoxe

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En Silence, c’est un défi, celui qu’a voulu relever le compositeur. C’est un paradoxe, celui que suscite le traitement lyrique et scénique du sujet choisi. C’est aussi une création mondiale au Grand Théâtre de Luxembourg.

Alexandre Desplat est un compositeur connu et reconnu pour ses musiques de films. Consacré même dans la mesure où ses bandes originales pour notamment « The Grand Budapest Hotel », « Le Discours du roi », « Godzilla », « Harry Potter et les reliques de la mort », ceux de Jacques Audiard et tant d’autres (plus de cent cinquante) lui ont valu deux Oscars, trois Césars, deux Bafta, deux Golden Globe, deux Grammy Awards, et des nominations en pagaille. Il s’est lancé un défi. Jamais encore, il ne s’était aventuré dans le monde lyrique : il « se méfiait du genre, n’appréciant pas trop ses déferlements, ses excès de tous types, son romantisme exacerbé ». Mais il a cédé à la tentation, fasciné par un texte de l’écrivain japonais Yasunari Kawabata, prix Nobel de Littérature en 1968, et surtout remarqué pour ses textes courts, ses nouvelles, si joliment qualifiées par lui de «récits qui tiennent dans la paume d’une main».

Surgit alors le paradoxe : la mise en son et en scène d’un texte au titre absolument évocateur : En silence ! Un tout petit texte aux échos innombrables : un jeune écrivain rend visite à l’un de ses maîtres, définitivement amoindri par un AVC, incapable désormais de parler et d’écrire. La nouvelle décrit cette rencontre et, dans l’économie incroyable de ses moyens, évoque la création, la transmission, le rapport au passé, à ce qui a constitué une vie, les liens entre cette vie et l’art... Et tout cela naît de la confrontation avec un vieux monsieur muet. Ajoutons-y la présence des fantômes de jeunes femmes qui soudain viennent s’asseoir la nuit dans les taxis qui passent près d’un crématorium.

On peut conclure qu’Alexandre Desplat a relevé le défi ! Il a réussi à composer une musique (confiée à trois flûtes, trois clarinettes, un trio à cordes et des percussions) dont la discrétion est évocatrice, et qui n’est jamais japonisante. Elle est au service d’un silence qu’elle donne réellement à entendre et à vivre. Grâce aussi aux talents conjugués des musiciens de l’orchestre luxembourgeois United Instruments of Lucilin (déjà remarqué ailleurs pour son travail sur des partitions lyriques de Toshio Hosokawa, Brice Pauset, Dominique Pauwels ou Philippe Manoury), associés à la dramaturgie par leur présence en ligne au fond du plateau et la « gamme chromatique » de leurs vêtements colorés.

C’est Solrey, alias Dominique Lemonnier, la compagne violoniste du compositeur, qui a conçu le livret avec lui et installé l’œuvre sur un plateau, dans un minimalisme scénographique suggestif bienvenu, aux superbes lumières (d’Eric Soyer), avec quelques séquences vidéo bienvenues (sauf les images de geisha ou le compteur kilométrique d’une voiture, trop explicites dans un univers d’infinie suggestion). Le tout dans une lenteur qui, justement, spatialise le silence.

Un narrateur (Sava Lolov) nous donne accès à cet univers où nous rencontrons le jeune écrivain (le baryton Mikhail Timoshenko) et la fille dévouée du vieillard (la soprano Camille Poul) : leurs mots et leurs chants sont « en harmonie » avec le silence…

Stéphane Gilbart

Luxembourg, Grand Théâtre, le 26 février 2019

Crédits photographiques : Silvia Delmedico

 

 

 

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