Un exploit pianistique
Ludwig van BEETHOVEN
(1770 - 1827)
Sonate pour piano n° 3 en do majeur op. 2/3–32 Variations sur un thème original en do mineur (sans n° d’opus)–Sonate pour piano n° 14 en do dièse mineur op. 27/2–Sonate pour piano n° 23 en fa mineur op. 57–Sonate pour piano n° 26 en mi bémol majeur op. 81a–Sonate pour piano n° 32 en do mineur op. 111
Evgeny KISSIN (piano)
DDD–2017–55’ 40’’ et 73’ 14’’–Textes de présentation en anglais, allemand et français– DG 479 7581
Ce qui singularise ce double album, c’est que les six œuvres pour piano de Beethoven qu’il contient et que joue le très talentueux Evgeny Kissin (il est né à Moscou en 1981) ont toutes été enregistrées en public, mais dans six endroits différents, entre 2006 et 2016 : Séoul, Montpellier, New York, Amsterdam, Vienne et Verbier. La raison tient d’abord et avant tout au fait que Evgeny Kissin n’aime guère les studios et qu’il considère qu’un pianiste ne donne sa pleine mesure que lorsqu’il se trouve en présence d’un public – d’un public en chair et en os. Lequel public peut d’ailleurs exercer une certaine influence sur ses interprétations, et en particulier sur celles des grandes pièces du répertoire censées être connues de la majorité des mélomanes.
Bien que dix ans séparent l’enregistrement de la Sonate pour piano n° 3 en do majeur au Arts Center de Séoul de l’enregistrement de la Sonate pour piano n° 23 en fa mineur (dite « Appassionata ») au Concertgebouw d’Amsterdam, on sent bien qu’Evgeny Kissin a une vision extrêmement cohérente de Beethoven. À ses yeux, Beethoven est un romantique, un sentimental, un écorché vif, un passionné et, à la fin de sa vie, un homme que la surdité rend prisonnier de lui-même, et il convient donc de jouer ses œuvres pour piano seul en ayant toujours ces traits à l’esprit, jusqu’à les mettre fortement en évidence. Mais en même temps, Evgeny Kissin pense qu’il y a aussi beaucoup d’humour et d’ironie chez Beethoven, y compris dans l’opus 111, et qu’on aurait tort de ne pas en tenir compte. En tout cas, on ne peut qu’être ébloui par ses six exécutions, qui sont, sans conteste, parmi les meilleures qu’on ait pu entendre ces dernières années : lyriques, tempétueuses, colorées, contrastées, bref purement, et radicalement, beethoveniennes. Un exploit pianistique.
Jean-Baptiste Baronian