Une dernière gerbe pour le jubilé du grand Rameau

par

Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)
Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour
Ch. Santon-Jeffery (dessus), C. Sampson (dessus), B. Staskiewicz (bas-dessus), J. Borghi (bas-dessus), M. Vidal (haute-contre), R. Van Mechelen (haute-contre), T. Christoyannis (basse-taille), A. Buet (basse-taille), Choeur et orchestre du Concert Spirituel, dir.: Hervé NIQUET
2014-live-2 CD 53' 53'' et 60' 31''-chanté en français-textes de présentation en anglais, français et allemand-Glossa GCD 921629

A côté de ses cinq grandes tragédies lyriques, Rameau a écrit de nombreuses pages destinées à la scène, qu'il intitule opéra-ballet, ballet héroïque, comédie-ballet, pastorale héroïque, comédie lyrique ou acte de ballet. En 1747, Il venait de terminer un ballet héroïque sur un sujet de Louis de Cahusac, Les Dieux d'Egypte. Survient le mariage du Dauphin, fils de Louis XV : qu'à cela ne tienne, le compositeur ajoute un prologue de circonstance, rebaptise son oeuvre, et Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour voient le jour le 5 mars 1747, à Versailles, pour être reprises l'année suivante à Paris et s'y maintenir assez longtemps. Un peu comme Les Indes galantes, plus célèbres, ce ballet héroïque se présente sous la forme d'un prologue suivi d'"entrées" (actes) n'ayant que peu de rapport entre elles, sauf le cadre égyptien. Il ne faut donc surtout pas y chercher une cohérence dramatique ni un intérêt théâtral, le propos est ailleurs: Cahusac ne cherche que "l'amusement du spectateur" par tous les moyens. Même si certains textes instillent la philosophie des Lumières : humanisme, civilisation par les arts, idées maçonniques... Ainsi se succèdent ouverture, airs, duos, ensemble (jusqu'au sextuor), choeurs et danses d'action diverses, pièces dans lesquelles Rameau excelle. Transcendant une action factice, il parvient à magnifier les vers fades par des trésors d'invention musicale. Le clou en est certainement le débordement du Nil, page centrale de la deuxième entrée "Canope". Une nymphe doit être sacrifiée à l'occasion d'une fête. Au moment fatal où le couteau va frapper, les flots du Nil se soulèvent, témoignant de la colère des dieux. Tout finit bien. Scène magnifique, où se succèdent un "air majestueux" pour orchestre, un hymne au fleuve et un ensemble impétueux ("Bruit semblable au tonnerre"). Ah, si Rameau avait pu bénéficier de bons livrets, que n'eût-il pas donné ? Passée la belle ouverture à la française, le prologue s'avère assez faible. La première entrée, "Osiris" se distingue par un vigoureux Air des satyres, et une frétillante contredanse finale. La troisième entrée, "Aruéris ou Les Isies", à l'intrigue plus nulle encore (le simple couronnement d'une artiste au cours de jeux) est d'inspiration plus égale, et fut d'ailleurs jouée isolément. Elle contient une superbe scène pour le ténor Le bonheur de la terre est le bien où j'aspire - Cette plaine vaste et féconde, un quatuor remarquable Brillez sons enchanteurs, une sublime sarabande, et trois petites perles instrumentales quasi pré mozartiennes (air gai, premier et deuxième rigaudon). On est donc loin du chef-d'oeuvre total, sans doute, mais l'oeuvre est plus qu'une simple obligation de circonstance : un recueil de morceaux fascinants, qu'il aurait été dommage de laisser sombrer dans l'oubli. Grâces en soient rendues au Centre de Musique Baroque de Versailles, qui a produit la tournée. D'autant plus que l'interprétation en est en tout point parfaite. L'adéquation d'Hervé Niquet et de son Concert Spirituel n'est plus à souligner, son abondante discographie le prouve à l'envi. Il s'est entouré de chanteurs rompus à ce répertoire. Il faut en particulier féliciter, pour leur élégance, Mathias Vidal et Reinoud Van Mechelen parmi les hommes, et, chez ces dames, l'impressionnante Chantal Santon-Jeffery, Orie virtuose dans la troisième entrée (rôle créé par la "star" Marie Fel). Moins parfait que Les Indes galantes ou Les Fêtes d'Hébé, ce ballet héroïque trop négligé nous rappelle que même dans une oeuvre secondaire, Rameau est un musicien immense.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10

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