Une interprétation réussie pour deux opus oubliés

par

Johannes Brahms (1833-1897) : Sérénade n°1 en ré majeur, op. 11 – Sérénade n°2 en la majeur, op. 16
Gewandhausorchester, dir.:  Riccardo Chailly
2015-DDD-65’19-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Decca-478 6775 DH

Quand on évoque Brahms, on pense naturellement aux symphonies, aux différents concerti, aux Variations sur un thème de Haydn ou encore au large corpus consacré au piano et à la voix. L’auditeur pense alors avoir fait le tour… Et pourtant, deux opus d’une grande intelligence apparaissent au catalogue : les deux Sérénades op. 11 et 16. Ecrites entre 1857 et 1860, soit 19 ans avant la Symphonie n°1, elles n’obtiennent pas le même cachet que le reste de l’œuvre symphonique. Lorsque Brahms compose ces deux œuvres, il est professeur de piano, concertiste et dirige le chœur de la Cour à Detmold. Il est vrai qu’à la première écoute, l’auditeur ne reconnaît pas immédiatement la signature brahmsienne. Pourtant, se décèlent rapidement un avant-goût des richesses harmoniques et rythmiques des concerti pour piano ou des symphonies et, plus encore, les styles encore bien présents de Haydn -que Brahms étudie à la même période- et de Beethoven. Comme le rappelle la notice détaillée de l’enregistrement, l’opus 11 met en exergue certaines caractéristiques de la dernière symphonie de Haydn : la tonalité de ré majeur ; le bourdon de quinte au début : thème principal du mouvement initial… Alors que lopus 11 s’anime d’une joie pétillante, l’opus 16 se distingue par des couleurs plus sombres, notamment par l’oubli volontaire des violons. Mais il ne faut pas se leurrer : Riccardo Chailly rappelle justement que « Brahms a voulu une sonorité assombrie. Non pas un caractère noir, mais plutôt une ombre agréable ». Nostalgie, souplesse, décalages rythmiques, écriture plus complexe, des détails qui annoncent clairement le langage de la Première Symphonie, comme si ces sérénades servaient de réservoirs d’idées pour un usage futur.
Grâce au travail remarquable du Gewandhausorchester sous la battue toujours aussi énergique d’un Riccardo Chailly à l’affût du moindre détail, les deux œuvres sont présentées ici avec une justesse et une précision de haut niveau. Chailly propose une analyse détaillée de chaque mouvement alors que l’on pourrait vite s’y perdre. Relativement longues, les œuvres ne peuvent être comprises que dans le tempo le plus juste et le respect total des nuances et de la balance. D’ailleurs, le chef nous le rappelle : « Brahms a indiqué Allegro molto, « très vite », pas simplement « vite », au-dessus du premier mouvement (opus 11). Si l’on ne respecte pas cette indication, les 574 mesures s’étirent énormément en longueur. Elles ne durent pas seulement plus longtemps, elles ne décollent pas. » Chailly, avec une palette inouïe de dynamiques et de contrastes et avec un orchestre où chaque pupitre a sa place d’expression par des phrasés irréprochables et une articulation sans failles, parvient à insuffler la vie à l’œuvre. Peu de chefs y arrivent…Ayrton Desimpelaere

Les commentaires sont clos.